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FORUM 17 Page 8 |
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Le récit que nous vous proposons est véridique. Il n’est pas particulièrement lié à notre commune d’Etaules, mais celle-ci n’échappera pas à la grande « crève » des huîtres, qui va ravager le bassin de Marennes-Oléron. L’action se passe dans les années 70 et se situe dans le milieu ostréicole. Les ostréiculteurs, ces « jardiniers de la mer », tributaires d’une nature pas toujours généreuse, voient leurs huîtres dépérir, mourir, disparaître. Pour Marennes-Oléron, c’est la fin d’un métier. Que faire ? C’est alors, qu’envers et contre tous, une poignée d’hommes et de femmes, devant un désastre imminent, refusent de baisser les bras et, malgré eux, vont être entraînés dans une folle aventure des plus risquées. Au fur et à mesure du déroulement de ce récit le lecteur va se demander où se trouve le plus fort du combat : sur le terrain, avec la nature, ou dans les bureaux, avec les « paperassiers » ? A lui de juger quand il aura lu l’OPERATION RESUR...
Nous nous devons de présenter un de ces aventuriers, cheville ouvrière de cette opération RESUR. Il se nomme Henry BLANCHARD et demeure toujours dans la commune d’Arvert au lieu dit Le Piochet. Après quelques petits boulots, son service militaire achevé, il entre dans le métier des huîtres après son mariage avec la fille d’un ostréiculteur d’Arvert. C’est donc à 21 ans, au début des années 50, qu’il se parachute dans ce monde assez fermé, monde surpris de voir un « étranger » se lancer dans le métier. Pendant quelques années d’un dur apprentissage d’ostréiculteur et aussi de viticulteur – les deux métiers allant souvent de pair en Arvert – il fait de nombreuses observations et essaie de trouver des solutions à pas mal de problèmes.
A partir de cette situation la culture de la portugaise, crassea ostrea
angulata, notre huître indigène, prend une ampleur jamais connue.
L’exploitation du D.M.P. (domaine public maritime) est accélérée et augmentée.
De 2.500 ha en 1959, 3.260 sont mis en culture en 1968. Cet accroissement de
superficie permet une production de 750 millions d’huîtres ! Malheureusement
cette exploitation est faite sans aucun renseignement …Ce qui devait arriver
arrive et, tout en restant aux alentours de 750 millions d’individus, un manque
de croissance se fait sentir. Doucement le consommateur est orienté vers des
huîtres de plus en plus petites.
La marine marchande, organisme de tutelle de l’ostréiculture, assiste
impuissante à cette dégradation du produit, sans réagir, suivant les desiderata
des professionnels.
A la suite de la crise de Suez en 1967, Henry entre dans l’organisation
professionnelle. Nasser ferme le canal de Suez, mais ouvre à Henry les portes
officielles.
Rapidement il s’occupe du secrétariat, ce qui lui met le pied sur la
première marche de cet organisme, en remplacement de son beau-père. Il se
trouve donc secrétaire du syndicat ostréicole de la rive gauche de la Seudre.
Auparavant, Charles Hervé, président de ce syndicat, est devenu
président de ce que nous nommons aujourd’hui « section régionale », puis
président national du comité interprofessionnel de la conchyliculture, de 1958 à
1963.
Cette transformation de structure permet à Henry d’accéder à la section
régionale de Marennes-Oléron, et par là de siéger à Marennes. Nous sommes en
1959.
Il occupe successivement le poste de secrétaire aux côtés de Maurice
Solleau et ensuite de Roger Courpron .Ce dernier, devenu président du syndicat
de la rive gauche de la Seudre, pense à régénérer les bancs naturels, pillés
pendant la guerre de 39-45, avec comme premier objectif le banc de
Mouillelande situé en haut de la Seudre, près de Mornac.
Pendant ce temps l’ostréiculture, ne pouvant faire face à la demande, est
dans l’obligation de faire appel aux huîtres d’importation, avec tous les risques
que cela comporte. L’un des plus importants résultats de cette importation
massive est la division des ostréiculteurs ; les scissions éclatent et ne peuvent
être évitées.
L’huître angulata n’obtient quasiment plus la taille marchande et pour
pallier ce manque de pousse, les prix sont sans cesse en augmentation. Ce
phénomène de hausse des prix permet au bassin de conserver son chiffre
d’affaires tout en vendant de moins en moins d’huîtres.
C’est alors qu’un ostréiculteur de La Tremblade, Paul Jarno, rapporte du
Japon en 1965, dans ses valises, quelques coquilles d’huîtres parsemées de
points noirs. Pour la première fois la « crassostrea gigas » fait son apparition
en France.
La crassostrea gigas provient de la baie de Sandaï, au Japon, à 300 km au nord de Tokyo . Elle est très bien adaptée au climat du Pacifique jusqu’au Canada. Après avoir fait connaissance au Japon, du professeur Takeo Imaï et de son aide, Madame Watanabé, Paul Jarno ramène donc en France six kilos de coquilles chargées de naissain de gigas. Dix-huit mois plus tard, ces six kilos donnent 265 kilos d’huîtres adultes, à la grande stupéfaction des ostréiculteurs marennais ! Un autre exemple, américain celui-là : le mari de Shirley Temple possède un superbe laboratoire et, dans un de ses parcs, dispose à plat 90 mannes de gigas ; cinq mois plus tard sa pêche s’élève à 720 mannes ! Est-ce l’avenir pour Marennes-Oléron ?
En 1967 un mal mystérieux se manifeste par l’altération des branchies de
l’huître indigène. Ce mal provoque des pertes sensibles dans les élevages de
tous âges.
Sans en connaître la cause, on pense tout de suite que l’apparition de
cette maladie est liée à l’introduction des premières huîtres japonaises dans les
parcs cette même année.
Devant l’inquiétude qui s’empare de la collectivité, le secrétaire général
de la marine marchande à Paris, M. Jean Velitchkovitch, prend un arrêté pour
interdire l’introduction du naissain japonais dans les eaux françaises.
Invité en mars 1969, le professeur Takeo Imaï de l’université de Tokyo,
directeur de l’institut de recherche au Japon, arrive à Marennes-Oléron. Les 23
et 24 mars, il se rend sur les bancs de Marennes et d’Oléron. Ses conclusions ne
sont guère positives, malgré une régression sensible de la maladie des
branchies.
Etant donné qu’il est impérieux de s’approvisionner en naissain et que,
d’autre part, l’interdiction portée sur les japonaises ne paraît plus adaptée à la
situation, le secrétaire de la marine marchande, en accord avec l’I.S.T.P.M.,
prend, le 30 janvier 1969, un autre arrêté. Celui-ci abroge les dispositions
visant l’interdiction de l’immersion en eau française du naissain japonais.
Nouvelle alerte en 1970, cette fois au cours de l’été : une épizootie
(maladie contagieuse), plus mystérieuse encore que la précédente, se déclare et
cause des ravages considérables aussi bien chez les grosses huîtres que chez les
petites.
Rien ne permet de déceler les huîtres atteintes. L’inquiétude est vive chez
les ostréiculteurs car cette épizootie se manifeste non seulement dans le bassin
de Marennes-Oléron, mais sur tout le littoral atlantique, jusqu’en Gironde.
Devant cette croissance du mal, et à la demande du comité
interprofessionnel de la conchyliculture, est pris un arrêté ministériel en date du
1er avril 1971, qui suspend jusqu’à nouvel ordre les importations en provenance
de la péninsule ibérique et de l’Italie. Maintenant, que faire ?
Deux possibilités : attendre une amélioration aléatoire, ou tenter de
forcer le destin en renouvelant la race, seule solution de remplacement
apparente.
Marennes-Oléron compte près de 30.000 concessions représentant une
superficie de plus de 3.000 ha. C’est la dernière solution qui est adoptée :
création de bancs naturels.
Le manque de pousse venant d’une mauvaise qualité du naissain, il faut
recréer des bancs naturels avec une nouvelle race.
Cette idée naît dans l’esprit du président Roger Courpron, car il prétend,
à juste titre, que le pillage des bancs naturels en 1945, 1946, est la cause de
cette dégénérescence.
La mortalité des huîtres est devenue un phénomène permanent ; le stock
de produits d’élevage dépérit de jour en jour.
La venue d’huîtres étrangères au bassin a sans doute contribué à
accélérer nos maux ; une seule espèce semble résister : la crassostrea gigas.
- Suite à cette constatation, la commission des bancs naturels souhaite
pouvoir créer à Marennes-Oléron un ensemble de gisements naturels ceinturant
les lieux traditionnels de captage.
Trois secteurs sont en voie d’aménagement :
- la Bourdeline pour Port-des-Barques
- les Flamands pour Mérignac
- Mouillelande pour la Seudre
Il n’y a aucune hésitation à déposer sur les gisements de la Bourdeline et
de Mouillelande, au cours de l’année 1970, un lot de naissain japonais.
Malheureusement les huîtres issues de ces naissains ne pourront émettre des
larves viables qu’au cours de l’été 1972. Il va y avoir un « trou » dans la
production. Il est alors décidé d’acheter des huîtres gigas ayant deux ans d’âge
et pouvant fournir des larves viables dans l’année. Trois tonnes d’huîtres mères
gigas sont chargées au port de Chatressac le 8 avril 1971 et vont servir à
l’ensemencement du banc de Mouillelande. D’autres bancs ont été
amodiés(c’est à dire concédés) et ensemencés de pareille façon.
Y aura-t-il risque d’hybridation ? Ce risque doit être couru, car cela
permettra peut-être une plus grande réussite sur le plan qualitatif. Où va le
bassin ? Tout ceci est très bien, mais en fait l’opération a été beaucoup plus
compliquée.
C’est en 1966 que l’aménagement du banc de Mouillelande est envisagé.
Le président Roger Courpron. compose le dossier économique et Henry se
charge du dossier financier.
Ce banc naturel était à l’origine un banc d’huîtres plates, ostrea edulis.
Les premiers pillards qui l’envahirent furent sans doute les Romains et les
Gallo-Romains, ; très friands d’huîtres, ils en faisaient parvenir à Rome d’une
manière aujourd’hui encore discutée.
L’aménagement de Mouillelande doit être placé sous la responsabilité des
deux syndicats de la rive gauche de la Seudre.
Devant cette décision, M. Solleau, ostréiculteur à la Tremblade et
président des affineurs-expéditeurs, doute de l’aboutissement du projet, car il
faut de l’argent, beaucoup d’argent.
A la surprise générale des professionnels, le 8 juin 1966 la commission du
plan de relance des Pêches maritimes alloue à la reconstitution du banc de
Mouillelande la somme de 112.500 NF.
Cette décision nécessite la création d’un comité de gestion dont la
présidence est confiée à Pierre Grolleau de Mornac. Le poste de secrétaire général est tenu par Henry.
Des tas, des masses de papiers, documents, dossiers, sont alors
nécessaires avant de débuter les aménagements. En priorité il faut trouver la
formule administrative convenable afin d’éviter un pillage toujours possible.
Cette formule très simple est trouvée : les démarches aboutissent à une
amodiation au profit du comité interprofessionnel de la conchyliculture qui, lui-
même, en confie la gestion à la section régionale de Marennes-Oléron. Simple,
n’est-ce pas ?
Ceci est un petit exemple de la lutte des ostréiculteurs contre les
« paperasseries » organisées par l 'Administration, avec un grand A.
Cette formule va être employée pour les autres bancs à l’exception de
celui de la Mouclière.
Le système trouvé a un avantage : on peut être concessionnaire sans avoir
à en acquitter les redevances !
Après un premier nettoyage, et après avoir
délogé doucement quelques locataires irréguliers, la mise en place des bouées
jalonne la zone. Malgré tous les efforts les premiers aménagements n'ont lieu
qu’en 1969. Afin d’éviter le pillage par drague, de gros moellons sont largués
sur les bancs. Malheureusement peu de professionnels ont confiance et les
appels aux bonnes volontés sont vains. Tous les chargements de moellons et leur
épandage ne sont réalisés que par les membres du comité de gestion avec leurs
fils ou leurs ouvriers, et ce malgré les sarcasmes de certains ostréiculteurs.
Seule la bonne volonté les anime.
Une polémique s’élève même : Roger Courpron pense que les huîtres de
90 grammes pièce, en provenance de la péninsule ibérique doivent donner des
résultats favorables, tandis qu’Henry émet un avis différent mais très
controversé : il est favorable à une transformation complète de l’espèce et
préconise l’huître japonaise.
En effet, il y a en 1969 une mortalité de 35% sur les huîtres indigènes par
une altération des branchies, maladie provenant certainement du Portugal.
Un problème majeur vient freiner ces projets et les jours passent…
Un prélèvement des pierres immergées, avec les deux tonnes d’huîtres
mères du Portugal, donne des résultats tellement faibles que le doute s’installe.
Le 23 janvier 1970 Michel Joguet et Henry, de retour d’une visite à
Mouillelande, doivent songer à d’autres solutions, car la première expérience a
échoué. Il faut trouver d’autres géniteurs.
Pierre Grolleau est devenu président de la section régionale à la suite de Roger
Courpron qui désire se retirer par raison de santé et lassitude. Comme il ne veut pas
assumer toutes les responsabilités, le nouveau président crée des commissions.
Nous trouvons Henry dans celle chargée de l’aménagement des bancs naturels,
comme rapporteur pour les années 1970 et 1971. Ses efforts vont se porter sur
Mouillelande, les autres bancs étant supervisés par Michel V.
Avec Michel Joguet ils établissent un programme et visitent une fois de
plus Mouillelande. Ce 23 janvier 1970 il fait un temps épouvantable ; ils se
rendant compte que sur le terrain le sol est tellement mou qu’ils remplissent
leurs cuissardes, par un froid de –2° et un méchant vent de N.E. N’empêche, ils
contrôlent les premiers naissains japonais posés en juillet 1963.
Ce naissain était un don de l’U.C.O.M.A. qui n’avait pas trouvé
d’acquéreur. Cette mévente était due à la pousse trop rapide de ces huîtres dans
les mains d’ostréiculteurs non préparés à une telle croissance.
Mauvaise surprise à Mouillelande lors du contrôle : le banc est envahi de
crepidula (coquillage parasite et très prolifique) fixés en nombre très important
sur les pierres-collecteurs.
A cette nouvelle, l’I.S.T.P.M. de La Tremblade
émet des réserves sérieuses et freine toutes les ambitions. Une fois de plus le
bureau fait tout stopper.
Devant tous ces problèmes il est décidé de mettre le comité en sommeil.
Nos pionniers sont-ils abattus, résignés ? C’est mal les connaître, surtout s’il
faut naviguer légèrement en marge de la loi, et prouver qu’ils ont raison !
Le 1er août ils passent outre l’avis de l’I.S.T.P.M. et continuent
l’aménagement de Mouillelande. Des pierres sont remises en place à un degré
plus haut, de façon à provoquer des turbulences qui, en principe, doivent faire
disparaître une partie de la vase. Quelques naissains japonais sont mis sur le
sol ainsi que des huîtres de Gironde saisies par la gendarmerie nationale à bord
de bateaux pillant les bancs naturels. De plus, G. se charge de
trouver un lot d’environ trois tonnes d’huîtres japonaises. Tous les deux, Henry
et G., les éparent dans un secteur propre à un degré de 100.
Comme remerciement ils sont immédiatement accusés d’avoir mis les
huîtres si bas pour que personne ne puisse les voir…ou même de les avoir
éparées dans leurs propres claires ! Que de coups de pieds au c… se sont
perdus à cette époque !
Les moules, cet ennemi n° 1 des huîtres, envahissent le bassin et fin
octobre 1970 une mortalité importante détruit certains bancs naturels
« emmoulés ».
En ce début de 1971 la mortalité s’étend même au naissain fixé en
Seudre ; c’est principalement dans ce secteur de Seudre que les pertes sont les
plus importantes.
Voir crever de jeunes huîtres met enfin les responsables de la profession
dans l’obligation de réagir. Tout le bassin de Marennes-Oléron est au bord du
gouffre, une immense catastrophe est imminente : la ruine est à la porte et les
finances complètement à plat.
L’ostréiculture marennaise est donc dans un complet marasme en ce
début de 1971. Rien ne réussit, les expériences échouent, tout se ligue contre les
ostréiculteurs ; on a l’impression que la nature veut n’en faire qu’à sa tête et
surtout éliminer les ostréiculteurs. C’est dans cet esprit de semi-panique qu’une
grande réunion a lieu à Royan, au palais des congrès, le 9 janvier 1971.
Le
thème en est : « Où va le bassin de Marennes-Oléron » ?
L’affluence des participants est évaluée à 800 personnes, au moins,
chiffre jamais atteint dans une réunion ostréicole.
Organisateurs, participants, tout le monde est inquiet. L’atmosphère est
tendue, prête à éclater à la moindre peccadille. C’est la fameuse « réunion des
coquilles » suivie plus tard par le congrès du même nom.
L’accent est tout de suite mis sur les emprunts : en contracter
continuellement, qu’ils soient bonifiés ou non, va ruiner à long terme
l’économie régionale entière. On s 'accuse mutuellement, on accuse la
pollution, les pouvoirs publics, les administrations. La balle rebondit.
Les ostréiculteurs du sud du bassin, les premiers touchés, mettent en cause
l’espèce crassostrea angulata. D’après eux, cette huître ne vaut plus rien.
L’avenir leur donnera raison.
A côté de cette espèce les huîtres en provenance du Japon ont une
croissance double et ne subissent aucune mortalité. M. Maurin explique qu’en
effet la résistance des gigas a été enregistrée et que l’initiative de Marennes-
Oléron de reconstituer les bancs naturels est la base d’une production
retrouvée.
L’I.S.T.P.M est en train d’envisager la création de réserves d’huîtres
susceptibles d’ensemencer les bancs naturels en cours d’aménagement.
Le
montant demandé froidement représente la moitié du budget total disponible.
Inutile de décrire la violente discussion entre ostréiculteurs du nord du bassin
(Port-des-Barques) et ceux du sud, car le nord ne connaît pas encore le fléau.
Si la somme demandée est enfin obtenue, des attaques virulentes portent
sur la variété préconisée. Le premier à attaquer est l’un des plus proches voisins
d’Henry, qui met en doute les valeurs qualitatives de la gigas et émet l’idée que
la mortalité subite est peut-être due à cette nouvelle espèce d’huîtres provenant
du Soleil levant. C’est un comble !
Le budget, quand même accepté, permet de mettre sur les bancs naturels
vingt tonnes d’huîtres mères susceptibles d’émettre des produits génitaux
visibles pour l’année 1972.
Très vite on doit déchanter, peu d’huîtres d’origine japonaise sont
disponibles dans le bassin. La nécessité veut que l’on fasse appel à la solidarité
des collègues de l’étang de Thau, sur la Méditerranée, où, d’après un ouï-dire,
des grosses japonaises sont à vendre.
Alors de sourdes intrigues se mettent en marche au sein de la section
régionale. Le nord de l’île d’Oléron, où l’aménagement du chenal de Boyard est
envisagé, manifeste contre l’implantation d’une autre espèce d’huîtres. Cette
position est suivie par Port-des-Barques pour la Mouclière. Les exigences de
ces personnes vont aller jusqu’à exiger leur quote-part dans le budget des bancs
naturels. Ils n’ont qu’un seul rêve : torpiller le projet par tous les moyens !
Entrer à Marennes des huîtres de Thau va tourner à l’aventure
rocambolesque, non dénuée d’intérêts ! Devant l’accroissement du sinistre les
ostréiculteurs méditerranéens subissent de fortes pressions, malgré les
propositions alléchantes arrivant de la section régionale. Un courtier en huîtres,
travaillant également avec un importateur japonais, fait traîner l’affaire en
longueur ; en définitive le marché ne se conclut pas, les jours passent et les
huîtres crèvent toujours.
Enfin un accord intervient avec la coopérative de Mèze pour une
fourniture importante. Six tonnes sont commandées, mais seulement 800 kilos
arrivent à Marennes, d’où colère, prévisible, des ostréiculteurs de Marennes à
l’arrivée de cette goutte d’eau. Henry, très fâché, intervient auprès du directeur
de la coopérative et « entre quatre-z'yeux » au téléphone, lui reproche son peu
de sérieux dans cette affaire. Il lui fait promettre d’avoir à effectuer, à son
compte, une livraison d’au moins trois tonnes.
Pour la première fois, depuis le début de la crise, à l’arrivée de ce camion
immatriculé 34, un élan de solidarité est observé. Il ne devait plus s’arrêter.
Après cet arrivage, les ostréiculteurs prennent conscience enfin de la
nécessité d’aménager les bancs naturels avec la gigas.
Ce mouvement de solidarité est dû, en partie, à une information menée
tambour battant : le premier bulletin d’information de la section régionale ne
cache pas son désir de voir disparaître rapidement toutes les angulata ; mais
très vite il apparaît qu’il n’est plus possible de rentrer suffisamment de géniteurs
susceptibles de pallier la mortalité devenue écrasante. A ce stade de la situation,
d’autres solutions doivent être envisagées.
Pendant ce temps, petit à petit, la mortalité gagne le nord du bassin…
En premier lieu il vient à l’esprit d’Henry et de ses amis de se procurer
des gigas de 18 mois qui ont été immergées dans la baie de Cadix (Espagne) au
lieu-dit Santi-Pietri. A première vue il n’y a pas de problème pour avoir ces
huîtres. Le propriétaire est trouvé : c’est Monsieur C. et Monsieur L. importateur et co-
propriétaire de ces huîtres.
C’est ce dernier qui mène les débats. Une réunion avec Monsieur C.
et Monsieur L. est organisée chez l’administrateur, Monsieur Divérès. à
Marennes. Monsieur L. demande à être l’importateur exclusif. De plus, il veut que la S.R. l’autorise à rentrer
l’équivalent en tonnage pour son propre compte alors que ces rentrées viennent
juste de lui être interdites par cette même S.R. !
Biaisant la question, les représentants de la S.R. font semblant d’accepter
ces conditions. Pour se couvrir, ils exigent un échantillon, qui n’obtient pas
l’agrément de Monsieur Marteil, agent supérieur de l’I.S.T.P.M….
On en est là
quand survient un incident imprévu.
Inexorablement la mortalité continue ses ravages sans aucune solution au
problème. Elle prend le caractère d’un vrai fléau, et aucune explication ne peut
être fournie par les services scientifiques des Pêches Maritimes. Nos chercheurs
sont devenus muets !
Partout c’est un fiasco. Seule l’extrémité nord du bassin n’est pas
touchée, l’île de Ré non plus. La polémique s’engage et la première accusée est
la japonaise, dont le 25 février 1969 Monsieur Furnestin avait dit en
substance : « cette maladie semble provenir des huîtres étrangères et plus
précisément des naissains du Japon». Pourquoi pas ?
La tâche d’Henry, en tant que rapporteur des bancs naturels, devient de
plus en plus difficile. Sa sécurité est-elle menacée ? On arrive à se poser la question,
tant la tension monte. Très vite il avoue au président Pierre Grolleau qu’il lui
est impossible de trouver des géniteurs valables. La réponse claque, système
"armée" : - « Veux pas le savoir, trouve une solution ! ».
Henry soutient que pour avoir les qualités requises en géniteurs viables,
une seule solution semble valable : aller les chercher là où elles sont, c’est à
dire presque au bout du monde ! Le pétulant président saute sur cette idée et
demande illico à Henry de prendre des contacts immédiats afin d’étudier cette
éventualité, puis estimer les crédits à demander.
Ces divers évènements se passent le 9 avril de la 1971ème année après
J.C., jour du vendredi saint, précision qui est importante pour la suite du récit.
Mais ce qu’Henry ne sait pas, c’est qu’il vient de déclencher :
L’OPERATION RESUR !
Tout bien réfléchi, Henry n’innove pas en lançant cette idée de prendre
des géniteurs à l’étranger. Il existe d’autres exemples célèbres.
La viticulture, suite à l’épidémie de phylloxéra, est allée chercher des
sujets résistants au U.S.A.
Les cultivateurs de maïs ont fait de même lorsque leurs rendements se
sont abaissés. La solution a été semblable pour les pommes de terre et autres
semences.
Le transfert d’espèces, tout en étant un danger lorsqu’elles sont
introduites dans un milieu naturel est souvent très bénéfique.
Dans notre cas, le risque mérite d’être couru, la profession étant le dos au
mur.
Le lendemain de la décision du président Grolleau, le samedi 10 avril,
Henry se trouve seul dans son bureau, le problème devant les yeux : où trouver
des géniteurs susceptibles de sauver l’ostréiculture marennaise ? Personne n’a
plus droit à l’erreur, il reste une seule carte à jouer, elle doit être la bonne. Et la
lumière jaillit.
En consultant des notes vieilles de plusieurs années, Henry retrouve une
note de l’ambassade du Canada en France. Il y est dit que, sur les côtes
canadiennes, il y a des huîtres ; elles sont dites « crassostrea virginica » sur la
côte atlantique (province de l’île du prince Edouard) et « crassostrea gigas »
sur la côte du Pacifique.
Immédiatement, sans tergiverser, Henry décroche son téléphone pour
obtenir le chef du service agricole, Monsieur Oudout, au centre national de
commerce extérieur. Sitôt cet homme en ligne, sans préambule, Henry lui tient
ce discours : « Monsieur le chef de Service, je suis Henry Blanchard,
rapporteur des bancs naturels de la section régionale de Marennes-Oléron, du
comité interprofessionnel de la conchyliculture française ; j’ai un problème à
vous soumettre .
Nous subissons une mortalité très importante et avons décidé d’aménager
nos bancs naturels avec une espèce d’huîtres susceptible d’exister sur la côte
pacifique du Canada.
En conséquence il nous faut trouver 50 tonnes d’huîtres
crassostrea gigas de plus de trois ans et pesant plus de 100 gammes l’unité,
ainsi que l’adresse d’un organisme suffisamment capable d’effectuer un tel
envoi. »
Abasourdi par ce déluge de paroles venant d’un inconnu, Monsieur
Oudout fait un long silence avant de reprendre sa respiration. La question est
tellement inattendue qu’il la fait répéter deux fois à Henry.
Puis, ayant repris ses esprits, il lui assure qu’il donne l’ordre à son
service de se mettre en marche afin de lui donner satisfaction.
Le lendemain, la Section Régionale se réunit en mairie de Marennes et le problème est
évoqué en présence de tous les professionnels. Bien sûr, le nord de l’île et le
nord du bassin sont toujours contre le projet et maintiennent leurs positions
suivant le procès-verbal d’une réunion tenue à Boyardville.
Au matin du mardi 13 avril, Monsieur Oudout téléphone chez le président
Grolleau et communique l’adresse d’un ostréiculteur canadien susceptible de
fournir le produit demandé. Qui a osé dire du mal de son service ?
C’est Madame Simone Grolleau qui prend la communication et écrit
l’adresse, sans tenir compte de la langue anglaise ; une sérieuse vérification va
s’imposer. Henry demande à Madame Ruppa de bien vouloir s’en charger ; Il
demande en outre le prix du transport, afin de commencer les démarches
provisionnelles.
Tout va alors très vite. En fin de matinée, Henry est sommé de rappeler
d’urgence Madame Ruppa. Il s’entend dire qu’elle vient de joindre le directeur
de la S.E.A.I.R. à Copenhague pour obtenir un prix avantageux de transport
aérien ; cette maison, dépendant de l’armateur Loriksen, est dirigée par Mr
Nordqvist.
Un avion charter en provenance du Pacifique, côte ouest de l’Amérique
du nord, peut être offert par la S.E.A.I.R. au prix de 30 à 35 mille dollars,
suivant le tonnage. Celui-ci doit être d’un minimum de 35 tonnes pour un avion
de type Douglas DC S.
Aussitôt Henry téléphone au président Grolleau pour lui annoncer la
bonne nouvelle. Un rapide calcul fait ressortir un prix moyen de 10 F le kilo, le
dollar U S. étant calculé selon sa cote du moment : 5,50 F.
Nous avons le transporteur, mais pas encore les huîtres, ni l’argent pour
les payer.
Une réunion au sujet du prix par kilo est prévue à la Préfecture de La
Rochelle ce même après-midi. Ces évènements ont lieu dans la matinée du 15
avril, le demain des fêtes de Pâques.
Voyons l’après-midi de ce fameux mardi.
La réunion à la Préfecture de La Rochelle est présidée par le préfet,
Monsieur Langlade. Elle groupe diverses administrations départementales, de
nombreux ostréiculteurs, Monsieur Dubouilh, instituteur itinérant des cours
post-scolaires ostréicoles, ainsi que Monsieur Mazière, directeur du
laboratoire de l’I.S.T.P.M. à La Tremblade.
Passons la parole à Henry, qui assiste aux débats :
-« Nous présentons diverses huîtres nées dans notre bassin et ayant un
développement plus important que l’espèce indigène angulata. Nous prétendons
que l’espèce crassostrea gigas peut se reproduire dans notre bassin de
Marennes et faisons état de notre idée : rentrer des huîtres mères de cette
espèce par voie aérienne. Nous allons jusqu’à prétendre que c’est la seule
solution envisagée par la commission des bancs naturels et qu’elle a
l’approbation de la majorité de la profession ».
Un mini-scandale éclate à ce moment : un farouche chef de file
oléronais de l’opposition à la gigas, explose. Il va même jusqu’à affirmer que
c’est une opération frisant le génocide, car d’après lui, et il n’est pas le seul à le
prétendre, cette espèce japonaise est responsable de la mortalité des huîtres
angulata. Il prétend aussi avoir tout le nord de l’île d’Oléron avec lui.
Pour un pavé dans la mare, c’est un pavé ! Cette intervention va-t-elle
tout ruiner ?
Monsieur Maurin (I.S.T.P.M. de Nantes), tout en étant favorable, émet des
réserves : cette transplantation d’espèce pourrait, c’est une hypothèse, entraîner
rapidement une surcharge des parcs et un abaissement des phytoplanctons
nécessaires à l’huître.
Immédiatement le président Grolleau réplique qu’effectivement ce
problème existe, mais qu’avec une espèce commercialisable en 18 mois, au lieu
de 4 ou 5 ans pour l’angulata, cette surcharge ne devrait pas exister.
Mr Dubouilh demande la parole : nous sommes-nous suffisamment
renseignés pour savoir si techniquement l’opération est réalisable ? Il précise
sa pensée en demandant si les cales d’un avion-cargo sont assez pressurisées
pour transporter des huîtres qui, selon lui, commencent à avoir des produits
génitaux.
Si Monsieur Dubouilh savait par où Henry et ses collègues sont déjà
passés, il comprendrait que sa question passe au second plan, bien que sa
remarque soit à prendre en considération.
Monsieur le Préfet, toujours soucieux de l’argent de l’état, demande quel
est le montant nécessaire à la réalisation de cette aventure, sans certitude de
réussite. Le doute s’installe dans l’esprit du préfet, après l’envoi de la torpille
oléronaise !
Pierre Yonneau, ostréiculteur de la Tremblade, doté d’un certain
« culot » et sachant que les crédits de l’état sont toujours diminués, demande
froidement 200 millions de centimes. A sa décharge il faut dire qu’il n’a aucune
idée du coût réel. Le président Grolleau, en connaissance de cause, donne un
coup de barre à gauche et estime que 50 millions de centimes, soit 500.000 NF,
seront suffisants, dans un premier temps.
Après de nombreuses discussions la
séance est levée sans nouvelle évaluation ; personne ne sait où trouver le
premier centime des millions évoqués. Encore faut-il se procurer un échantillon
de ces huîtres canadiennes qu’aucun d’entre nous n’a vues, pour le soumettre à
l’examen des services de l’I.S.T.P.M.
Le soir, en rentrant de La Rochelle, Henry annonce à Madame Ruppa que
nous avons un accord de principe et que nous demandons un échantillon. Cette
demande est transmise le 14 avril au matin via Copenhague, qui la répercute
sur l’agent S.E.A.I.R. de Vancouver, au Canada.
Si nous faisons le point de ce 14 avril 1971, nous trouvons à Marennes la
situation suivante :
- une source d’huîtres mères au Canada
- un transporteur
- pas un centime pour financer
- l’hésitation de l’administration préfectorale
- la menace d’un veto de l’I.S.T.P.M.
- une très forte opposition dans l'île d'Oléron
- la certitude de la date de ponte des huîtres : mi-juillet
- le manque de temps pour tout réaliser
- une autre certitude : les huîtres continuent de crever.
Dix jours passent, tout est au point mort, avec des hauts et des bas ; les
problèmes « papiers » surgissent pour compliquer la tâche et retarder
l’opération.
Tout d’abord l’adresse fournie par le centre national manque de
précision. Des recherches effectuées par Monsieur Paul Bouet, l’agent
S.E.A.I.R. de Vancouver, permettent de rétablir l’équilibre.
Pour tromper l’attente et occuper les esprits, d’autres solutions du même
type sont envisagées au cas où l’affaire canadienne ne pourrait aboutir. Les
recherches sont continuées pour avoir des gigas, espèce trouvée d’ailleurs à
Bangkok en Thaïlande, en Corée et même à Formose
Le coût du transport est tellement excessif comparé à celui du Canada
qu’il faut absolument réaliser l’affaire canadienne.
Afin d’encourager cette poignée d’hommes dévoués…personne ne semble
y croire dans le bassin. Nombreux sont les ostréiculteurs qui disent à haute voix
qu’Henry est complètement fou d’entreprendre ou même d’envisager une telle
affaire, ce qui n’arrange pas le moral.
Par peur de se tromper, et n’ayant aucune solution de rechange, ils
attendent, plus ou moins tranquillement, les résultats positifs ou négatifs.
Toute la région semble tétanisée par la mortalité ; en plus, toutes les
autres professions connexes ou non à l’ostréiculture réalisent d’un coup que si
une solution n’est pas trouvée, ils n’ont plus qu’une chose à faire : leur valise.
La peur gagne tout le pays. L’échantillon attendu n’arrive pas : il faudrait
qu’il soit dans le bassin au début de la semaine afin d’être examiné pendant une
semaine par l’I.S.T.P.M.
Mais où sont donc passées ces fameuses huîtres qui commencent à faire
parler d’elles ?
En attendant crédits et échantillons, toutes les personnes ayant aidé la
cause sont chaudement félicitées. Cela va-t-il suffire à calmer les esprits et
tromper l’attente ?
Le 22 avril Mme Ruppa, enfin, fait savoir que des échantillons vont pouvoir
s’embarquer, mais qu’afin d’attirer l’attention le moins possible ils sont
transités à Montréal où ils prendront la ligne Air-France.
Ca y est, nous retournons dans la clandestinité des années 40-45 !
Pour avoir des points de comparaison et surtout sensibiliser les
professionnels de plus en plus sceptiques, deux échantillons sont demandés.
L’un va être adressé directement à l’I.S.T.P.M. de Nantes en vue d’examens et
l’autre doit arriver en gare de Saujon où il est attendu impatiemment.
Tout ceci est fait pour montrer aux ostréiculteurs que cette histoire n’est
pas que du vent, pour sensibiliser l’opinion publique et remonter le moral de la
région.
De son coté le président Grolleau, voyant les administrations
complètement immobiles et les jours passer, décide d’organiser une visite sur
les bancs sinistrés avec la participation des grandes administrations, un beau
dimanche de maline.
Nous sommes le 25 avril 1971, journée du souvenir et de la déportation.
Ce dimanche 25 avril, tôt le matin, c’est l’embarquement à bord du Jean
Gouy, bateau appartenant à Jean Marc Fraignieau.
On trouve à bord Monsieur Jean-Noël de Lipkowski, le préfet Langlade,
Franc-Valuet maire de La Tremblade, M. Maurin, directeur général de
l’I.S.T.P.M. à Nantes, M.Derouin, directeur des maritimes, Pierre Grolleau,
président de la S.R., Néron, président de la Fédération. Ajoutons à cette liste
deux journalistes et Pierre Yonneau, trésorier secrétaire de la S.R. et enfin le
patron du bateau, Jean-Marc Fraignieau.
De banc en banc, ces personnalités doivent rapidement se rendre compte
de l’étendue du sinistre et de son ampleur. Henry n’est pas à bord, mais assiste
au débarquement de toutes ces "autorités".
Bon nombre d’ostréiculteurs sont également présents sur le quai, ainsi
que le Sous-préfet .
Immédiatement une conférence de presse est organisée dans
les locaux de la mairie de La Tremblade. De grandes lignes sont tracées, des
promesses sont faites, mais ce qui intéresse Henry au plus haut point, c’est de
savoir quelle somme sera débloquée, afin de procéder aux achats de ces
fameuses canadiennes.
Il faut aller vite, car inexorablement les jours passent, aussi en pleine
séance Henry lance une bombe .Devant tous ces fonctionnaires hésitants, il
annonce fièrement l’arrivée le lendemain à Orly de l’échantillon demandé en
provenance de la côte pacifique. Ca, c’est du palpable et non des discours.
Il faut dire qu’à l’époque on doit toujours bien indiquer l’origine de ces
huîtres, les ostréiculteurs ayant tendance à confondre les côtes Est et Ouest du
Canada. Il ne faut surtout pas parler de la côte Ouest, celle du Prince Edouard,
où l’huître locale, “crassostrea virginica” est en train de subir le même sort que
notre angulata.
L’échantillon arrive bien à Orly le 26 avril . Il est pris en charge par
S.E.T. à Clichy pour être réexpédié sur Nantes par AIR-INTER, puis sur la gare de
Saujon.
Mr Mazière, de l’I.S.T.P.M. de La Tremblade en est avisé et le contact est
pris avec M. Mercier de l’I.S.T.P.14. de Nantes, qui doit mettre ces huîtres à
l’étude au laboratoire de Monsieur Gras.
L’arrivée à Saujon de cet échantillon est connu dans l’ensemble de la
presqu’île d’Arvert et suscite un vif intérêt; cette fois, c’est vrai, elles sont
rendues!
Les journalistes locaux sont sur le pied de guerre et d’un coup tout le
monde y croit, en cette expérience pourtant encore décriée en certains endroits.
Donnons la parole à Henry pour cette arrivée:
—“Je me renseigne auprès de la S.N.C.F. pour connaître l’heure précise
d’arrivée en gare de Saujon, c’est à dire à deux heures, juste après la marée, et
il ne sera pas possible d’effectuer le transport dans de bonnes conditions. Je
pars donc faire ma marée normalement. Roger Courpron contacté, s’offre à me prendre
en bas du “Moulin de la côte” pour me remonter à La Grève où j’ai laissé mon
auto. Le déchargement du chaland se fera le lendemain matin.
De cette façon, je serai à l’arrivée de l’échantillon, il pourra être
transmis rapidement à l’I.S.T.P.M. de La Tremblade le jour même. »
Comme vous pouvez le constater, tout est simple.
— "Avisé des mesures prises, Pierre Grolleau, impatient, me demande de
le prendre en allant à Saujon."
Sans l’ouvrir et avec moult précautions, le précieux colis bien réceptionné
est acheminé à l’I.S.T.P.M. de La Tremblade. Le devenir de l’ostréiculture de
Marennes-Oléron va être entre les mains des scientifiques. Ce sera tout ou rien.
A l’ouverture, le colis révèle toute la gamme des produits disponibles au
Canada. Même des échantillons de naissain y sont joints ; il s’agit de
planchettes pourvues d’une garniture importante.
Les lots d’huîtres sont numérotés et enveloppés dans des poches en
plastique, ce qui est traditionnel pour un transport aérien.
L’ouverture est contrôlée par l’I.S.T.P.M. et une partie des huîtres est
conservée au laboratoire. L’excédent est emporté, avec permission, afin de le
montrer aux professionnels, mais certaines réserves sont émises en ce qui
concerne leur immersion.
Les garanties d’usage sont données, alors commence le tour de La
Tremblade, canadiennes en main. Place du marché, toutes les marchandes de
poisson se précipitent pour voir les huîtres qui doivent sauver le bassin.
A La
Grève, les avis sont partagés mais en règle générale on manifeste un grand
intérêt. Dans certains coins les quolibets fusent et on va même jusqu’à accuser
les canadiennes de vouloir faire crever le reste des huîtres indigènes ! On pousse
jusqu’à traiter les porteurs de ces huîtres d’apprentis sorciers, ou bien de
vulgaires importateurs d’huîtres du Portugal ou d’Espagne.
Malgré toutes ces rebuffades le moral n’est pas atteint et Henry avise
Madame Ruppa de l’arrivée de l’échantillon. Il n’y a plus qu’à attendre les
résultats des analyses en cours dans les deux laboratoires.
Une première page de l’épopée canadienne vient d’être tournée et ce
n’est pas la dernière.
Le lendemain 27 avril la nouvelle se répand dans toute la contrée et
Henry est sollicité par ses confrères:
—" Les ostréiculteurs, sachant que je possède quelques échantillons
viennent à mon établissement pour voir la « gueule des huîtres ». Ce qui les
surprend le plus, c’est leur couleur : elles sont littéralement blanches de
coquille et elles ressemblent à un vulgaire morceau de calcaire.
Des cravans (balanes ), énormes, sont fixés sur les coquilles.
Afin de
savoir si ces huîtres vont pouvoir vivre dans le bassin, j’en transporte une
vingtaine à Bourcefranc où elles reçoivent un accueil important. Pendant que
j’explique à des ostréiculteurs mon avis sur la question génétique, une grosse
voiture Mercedes avec à l’intérieur ( c’est Henry qui l’affirme ) deux souris du
tonnerre et un petit homme brun , s’approche de nous.
Dans l’ignorance de leur identité, je continue mon discours en expliquant
que l’avenir d’un bassin ostréicole ne peut être tributaire d’un autre pays situé
au bout du monde (Japon accusé) et être à la merci d’importateurs pensant
surtout à leur porte-monnaie.
Certains ostréiculteurs m’entourent puis m’entraînent à l’écart pour me
signaler que le gars de la Mercedes est tout simplement l’agent d’une société
japonaise exportatrice de naissain du Japon. C’est lui le responsable pour la
France de l’entrée de ce fameux naissain. Il se nomme Mr Allandry.
Ce jour là il prétend qu’il est impossible que les “gigas” puissent se
reproduire dans le bassin.
Voilà un homme qui connaît mal les charentais et qui ignore une de
leurs qualités: têtus comme une "mule landaise!"
Sur les paroles défaitistes de M.Allandry, les échantillons de canadiennes
sont transportés sur le gisement naturel des Flamands. Les jours se suivent et
les analyses sont toujours en cours.
Les contacts sont conservés avec les
canadiens et il faut se préoccuper de trouver des fonds car il n’y a toujours pas
un centime en caisse. Où les trouver?
Le plan de relance des pêches maritimes devrait pouvoir fournir une
partie des crédits.
« Je me procure le dossier d’inscription du plan de relance de la
Mouclière, dossier monté par l’administrateur des Affaires maritimes à
Marennes, Mr Divérès.
Toute la nuit du 28 au 29 avril, je monte mon dossier en ayant bien soin
de détruire certains arguments propres au projet Mouclière.
Il faut dire que ce dossier étant basé sur l’angulata, il y a lieu d’envisager
avec les “gigas” une conception génétique tout à fait différente.
Mon dossier “Plan de relance” est presque achevé. Le lendemain matin,
une coordonnée me manquant, j'appelle M Poisbleaud chef du bureau des
Pêches maritimes à Marennes qui demande une minute d’attente et me passe Mr
Divérès.
Celui-ci me signale que Mr Velikowitch, secrétaire général de la marine
marchande à Paris, vient de lui faire savoir qu’il est possible que les fonds
nécessaires viennent du FO.R.M.A.
Il semble, malgré l’annonce faite peu de temps auparavant par Mr de
Lipkowsky de trouver 50 millions de centimes, que les services administratifs ne
cessent de se chamailler afin de ne pas à avoir à ouvrir leurs caisses.
Tous ces gens-là se moquent du problème ostréicole. Nous ajouterons que
ces administratifs oublient que 18.000 personnes vont tout simplement faire
comme les huîtres, crever. Ils oublient aussi qu’ils vont entraîner dans le
mouvement une région et un nombre important de métiers connexes à
l’ostréiculture. Ils auront aussi sur la conscience la désertification d’un nombre
incalculable d’hectares maritimes et terrestres.
Les jours passent et toujours les huîtres se transforment en coquilles
vides.
Interminables sont les contrôles à l’I.S.T.P.M. de Nantes et de La
Tremblade.
Les Canadiens, qui avaient demandé quel prix nous proposions pour leurs huîtres, sans indiquer leurs prétentions, semblent faire marche arrière: soit que le tonnage leur déplaise, soit que le prix offert soit trop bas; ils prétendent qu’il fait trop chaud pour transporter une telle quantité d’huîtres.
Nous sommes en effet le 30 avril.
Il ne reste plus que deux mois et demi environ pour l’accouchement de ces dames; à l’encontre de la race humaine, celles-ci ne donnent naissance à leur progéniture qu’entre le 14 juillet et le 1er août, chaque année, à quelques jours près. Imaginons l’angoisse des
expéditeurs canadiens et des receveurs français à l’idée de faire traverser le Canada et l’océan atlantique à des dizaines de tonnes
de femmes enceintes de sept mois ! De vrais frissons! un cauchemar.! Mr Berteau, importateur, ostréiculteur à Bourcefranc, fort d’une expérience de naissain importé du Canada, est contacté au sujet de la « réserve » des Canadiens. Il est très surpris, car quinze jours plus tôt les mêmes Canadiens prétendaient ne pouvoir expédier pour cause de froid ! Qui croire ?
On s’aperçoit bientôt qu’il s’agit tout simplement d’une “magouille”
commerciale sur laquelle il est inutile de s’étendre aujourd’hui.
Tout laisse à penser que la machine « intox » est en route.
Les intérêts en jeu sont énormes en cas de réussite.
Les besoins français en naissain peuvent être estimés annuellement aux
alentours de 5 à 6.000 tonnes. Faut-il encore remarquer que ce tonnage est limité par l’insuffisance du parc avion-cargo.
Imaginons quelques centimes par kilo, quel “fromage” pour un
importateur avisé.
Le mois de mai arrive, aucun déblocage de la situation n’est en vue.
Un ennemi juré
du projet canadien clame partout que cette idée est complètement folle et
que la profession est victime d’une ...escroquerie ! Il va jusqu’à prétendre qu’il
n’y a pas de gigas au Canada.
Henry est obligé de lui montrer une lettre de l’Ambassade du Canada et
de lui donner le nom de l’attaché commercial, auprès de M. l’ambassadeur.
Cette mise au point est faite publiquement à Etaules, lors d’une réunion du
syndicat ostréicole de la rive gauche de la Seudre. Profitant de cette réunion,
Roger Courpron laisse la présidence de ce syndicat à Henry, qui accepte pour
seulement une année.
Est-ce la fin d’un beau rêve ? Dimanche 2 mai 1971, 11 h du soir, le
téléphone sonne chez Henry. c’est Myriam Ruppa, complètement catastrophée,
car les canadiens refusent obstinément de charger, la quantité demandée ne
peut être pêchée en temps voulu, bref, ils ne veulent plus fournir leurs huîtres.
La tension artérielle d’Henry monte de dix points et c’est une terrible
« gueulante » qu’il pousse en disant que tous les ostréiculteurs sont
conditionnés par cette opération et qu’il se moque si la moitié des huîtres crève
mais qu’il faut qu’elles rentrent impérativement.
Deux éventualités sont envisagées : offrir 5 cents la livre en plus, ou aller
chercher les huîtres plus au sud dans le golfe de Seattle. Cette deuxième solution
repousserait l’opération, car l’I.S.T.P.M. demanderait d’autres échantillons et
d’autres délais.
La nuit du 2 au 3 mai est courte pour Henry. Etre sur le point d’aboutir et
voir tout sombrer, c’est dur, très dur à supporter.
Dès le matin du 3 mai Henry se rend à l’I.S.T.P.M. de La Tremblade pour
voir où en sont les analyses qu’effectue Mr Combs. Celui-ci ne fait que des
constatations, lui et ses collègues ne prenant aucune décision. Ce ne sont que
des fonctionnaires qui vont transmettre à leur directeur un rapport bien ficelé,
bien tapé, bien présenté. Peut-être après mûres réflexions ce directeur va-t-il
prendre ses responsabilités?
Estimons-nous heureux si ce digne représentent de l’Institut ne demande
pas un ou plusieurs autres échantillons venant directement et sans tarder du
Canada. Un agent de l’I.S.T.P.M. n’hésite pas à
signaler à Henry qu’il va mentionner sur son futur rapport son doute sur les
produits remis à l’analyse et qu’en plus, il a constaté, sur son Larousse, que la
densité de population à Vancouver en fait une zone excessivement polluée.
Devant de tels arguments, Henry pique une autre crise et lui répond...très
vertement qu’il a pris son travail de régénérescence des bancs naturels très au
sérieux et qu’il n’a pas l’intention de porter le chapeau si échec il y a lors de la
rentrée des huîtres; c’est à lui de prendre ses responsabilités.
Connaissant notre ami Henry, nous pouvons affirmer que la porte de
l’I.S.T.P.N. de La Tremblade est solide car elle n’a pas dû être fermée
doucement après cet amical entretien !
Terriblement déçu par sa visite à l’I.S.T.P.M., Henry ne peut se résoudre
à regagner son domicile et va faire part de ce nouvel aspect du problème à
certains de ses collègues trembladais. Nous sommes persuadés qu’une fois
encore des idées belliqueuses contre l’I.S.T.P.M. ont germé dans quelques
esprits.
Le déjeuner passe de travers et vers 16 h, la nouvelle s’étant répandue,
quelques ostréiculteurs viennent voir Henry pour savoir s’il y a lieu d’envisager
une action revendicatrice en direction de l’I.S.T.P.M. Pour un peu le
laboratoire va brûler et quelqu'un sera lynché ! Pas moins ! Revenu à lui, Henry apaise
comme il peut ces excités, ces enragés prêts à tout.
Le calme rétabli, il envisage
une deuxième solution, téléphoner à Mme Ruppa pour contacter les
ostréiculteurs de Seattle.
Hélas le temps passe et Henry a peur que tout ne soit compromis.
Ce mois de mai 1971, jamais l’ostréiculture de Marennes-Oléron n’en
vivra un pareil !Jamais l’ostréiculture française n’a eu un si bas niveau. Jamais
les marennais n’ont subi une pareille situation. Jamais un si petit nombre de
personnes n’a remué un si grand nombre d’autorités diverses.
Jamais une telle partie de poker ostréicole ne s’est jouée à un tel niveau
avec un tel culot, un tel emballement envers et contre tous.
Laissons Henry, complètement désespéré, nous conter la suite :
- « De désespoir, je vais travailler dans mes vignes et je continue de
réfléchir au problème tout en conduisant mon tracteur ( Plus exactement c’est le
tracteur qui conduit ). Dans la matinée, ma fille Margaret vient me chercher de
toute urgence. Il faut appeler Le Havre très rapidement, un nouvel aspect du
problème vient de faire surface.
L’offre de 5 cents de plus a fait son effet. Les Canadiens sont disposés à
fournir 200 tonnes d’huîtres mères. Ces huîtres sont à cueillir dans la baie de
Pendrell-Sound, 200 Km au nord de Vancouver ».
Henry souffle dans le téléphone, la voix lui manque un peu. Mme Ruppa,
confrontée à une situation basée sur des questions d’argent, dit à Henry qu’elle
va le rappeler dans deux heures et qu’elle pense pouvoir contre-attaquer tous
les risques énumérés.
Deux heures après un plan est mis au point, Henry a les arguments et file
à Mornac chez Pierre Grolleau pour lui annoncer la bonne nouvelle.
— “Nous avons les huîtres, lui dit Henry, maintenant il nous faut
l’autorisation d’importer et d’immerger de la part de l’I.S.T.P.M., puis les
crédits nécessaires pour une « ouverture de crédit. »
Il faut d’abord prévenir Mr Maurin, directeur de l’I.S.T.P.M. de Nantes.
Nous sommes le 4 mai 1971. Voici, 22ans après, les paroles de ce mémorable
coup de téléphone...
A la nouvelle de l’accord pour l’obtention d’huîtres
canadiennes de Pendrell-Sound, Mr Maurin a la réaction prévue:
—« Nous voudrions examiner un nouvel échantillon »
— Pierre Grolleau : « Impossible, Mr le directeur, nous n’avons plus
le temps, vos analyses et contrôles sont trop longs, nous vous offrons d’envoyer
sur place, au Canada, un de vos techniciens »
— "Quand ?
— Après-demain.
—Mais, je n’ai personne !
— Allez-y vous-même !
— Je ne peux m’absenter !
— Prenez vos responsabilités, que diable. Votre billet est réservé.
— Dans le cas où j’aurais quelqu’un, où dois-je m’adresser?
— Dans deux heures nous vous le dirons et nous espérons avoir le nom de
la personne habilitée à vous représenter à Vancouver."
Un Charentais a l’habitude d’être lent, mais quand il démarre, rien ne
l’arrête !
Ouf ! Henry et ses amis viennent de remporter une petite victoire.
Commander, c’est prévoir. Tout est prêt, car on devait se douter de la demande
d’un nouvel échantillon.
Entre temps, Mme Ruppa a contacté une agence de
« chartering » à Copenhague: la S.E.A.I.R. Son directeur, très intéressé, a pris
la décision de retenir deux places d’avion pour Vancouver et est fermement
décidé à arracher ce marché inespéré.
Deux heures après on a le nom du délégué I.S.T.P.M. qui va aller à
Vancouver, c’est Mr Marteil, en vacances en Corse . De toute façon le départ est
fixé à 9 h jeudi 6 mai, à Orly.
Rapidement un contrat, sous forme de lettre, accrédite Mr Marteil auprès
des canadiens. Il est 23 h lorsque Pierre Grolleau peut enfin signer le contrat.
Une voiture est nécessaire, et une rapide car il est impossible de confier
cette lettre à la poste elle n’arrivera pas chez Mr Marteil, à Nantes, à temps.
C’est Bernard Grolleau, le fils de Pierre, qui se dévoue et se charge de cette
importante lettre-contrat.
L’opération Résur est enfin mise en place.
Ce nom de Résur, donné de façon spontanée, mais non définitive, va
pourtant rester pour la postérité. Inutile de dire que le parrain en est notre ami
Henry.
Pierre Yonneau accompagne Bernard Grolleau à Nantes et l’allure est si
rapide qu’à deux reprises ils se font arrêter par les motards de la gendarmerie.
Bernard avec sa verve habituelle leur signale qu’il est en mission
officielle et que la missive qu’il leur montre doit être remise en mains propres
afin de sauver l’économie de la Charente Maritime tout entière.
Devant ces affirmations, les agents les laissent repartir; tant elles sont
solennelles.
Pendant ce temps, Mr Marteil est revenu de Corse, mais, nullement au
courant des évènements, tombe littéralement des nues.
Mme Ruppa a donné des ordres et toutes les coordonnées techniques. Un
médecin militaire, réquisitionné, vaccine Mr Marteil contre la variole, un Mr
Marteil complètement dépassé par les évènements. Pour le remercier et
l’encourager, un magnifique certificat international lui est remis. Son ordre de
mission est déjà signé; il va devoir faire très vite pour être à Orly à 9 h afin d’y
rencontrer Mr Nordqvist. S’il savait qu’il n’y a pas encore un centime en caisse,
partirait-il?
A leur retour de Nantes, Bernard rassure Henry de ce côté, tout est O.K.
Ne voulant pas être en infraction avec la loi, Henry part rencontrer M. B.
qui doit lui prêter sa carte d’importateur. En fait seul le numéro de la dite carte
est nécessaire. Numéro en poche, Henry fonce chez Mr l’administrateur des
A.M. pour qu’il établisse une demande d’immersion, qui doit être visée par la
direction de Bordeaux. Au cas où cette demande ne serait pas de retour en
temps voulu, Henry se fait fort de la récupérer le jour J pour l’arrivée de
l’avion à Mérignac.
Dans ce genre d’actions rapides et immédiates, les Charentais excellent.
Une petite altercation s’élève entre Henry et l’administrateur Divérès,
lorsqu’il est question d’une demande d’immersion dans le chenal de Marennes.
L’administrateur a raison car le chenal n’est pas amodié à la S.R. Comme les
formalités d’usage pour cette régularisation mettent un à deux ans, le chenal est
rayé de la liste; mais, après une âpre discussion le chenal est enfin admis.
Merci, Mr l’administrateur !
Tout est maintenant bien en place, les deux rives de la Seudre sont
d’accord pour le projet ainsi que le sud de l’î1e d’Oléron. Au diable les autres.
Une seule petite question n’a pas encore trouvé réponse il n’y a pas un
sou en caisse pour payer les huîtres mères. Tout le monde le sait, Mr de
Lipkowsky aussi et pourtant il se démène pour respecter ses engagements
publics.
Est-ce pendant ce mois de mai qu’il a été surnommé le « ministre de
l’ostréiculture » ? Rarement un homme politique s’est donné si à fond pour une
cause que l’on doit bien avouer délicate, car cette opération Résur est, en vérité,
une histoire de fous, et peu de personnes sensées peuvent y croire. Et pourtant?
Pour cette partie financière, Henry va frapper à la porte du crédit
agricole de Saintes...qui d’abord ne peut croire à cette aventure.
Premier argument invoqué : seul le trésorier a pouvoir, et Henry n’est
officiellement qu’un obscur rapporteur de bancs naturels.
Deuxième argument, un crédit documentaire ne s’établit pas sans prendre
d’ énormes précautions.
Et puis...et puis...C’est surtout de la part de Mr D. que viennent ces
restrictions.
Au revoir, Messieurs.
L’impression de cette visite, c’est que les ostréiculteurs importateurs du
Portugal, d’Espagne et surtout du Japon, forts d’un privilège, pensent pouvoir
le conserver en faisant bloquer les crédits nécessaires. De plus, dans de
nombreux cas, ils se sont glissés dans les conseils d’administration du crédit
agricole qui gère 60 à 65 % de l’économie ostréicole du bassin.
Le 6 mai, c’est le coup dur: le F.O.R.M.A. qui doit financer l’opération fait
connaître sa réponse, elle est négative.
Mr de Lipkowsky s’affole car il lui faut
trouver les 500.000 F pour lesquels il s’est engagé publiquement. Il tire
désespérément toutes les sonnettes afin d’obtenir la somme nécessaire.
Nous sommes toujours le 6 mai, et n’oublions pas que la date limite ( de
demande de fonds ) est fixée au 15 juin, encore faudra-t-il obtenir une extension
à la date légale qui est le 15 mai.
A nouveau il est envisagé d’aller supplier le C.A et d’essayer de
convaincre, en compagnie du trésorier de la S.R., Mr Maurice Guionneau.
Toutes ces préoccupations commencent à se répandre sur la rive gauche
de la Seudre; les ostréiculteurs s’accrochent maintenant à l’opération Résur,
abréviation du mot résurrection, et vraiment considérée comme telle, car
pendant ce temps la mortalité continue . Le mot Résur va entrer dans le
vocabulaire officiel et y restera pendant les trois années que dureront les
arrivées du Canada.
Coïncidence amusante cette résurrection, envisagée un jour de vendredi
saint va se terminer un jour de Pentecôte ! Où va se nicher la religion ?
Henry et Maurice Guionneau partent à Saintes le vendredi 7 mai afin
d’essayer d’obtenir un avis favorable de la part de la direction du C.A.
Laissons Henry décrire cette démarche :
— « Le directeur me laisse expliquer tous les détails de l’opération. Il
nous faut absolument une ouverture de crédit en attendant le déblocage de
l’Etat, car les crédits sont nécessaires pour la réservation d’un avion-cargo
ainsi que pour garantir notre commande à Wess Pary, directeur de la Sursude
Schell.
La direction du C.A. ne semble pas convaincue, nos plaintes se heurtent à
un mur. Il faut admettre qu’ils ont tant de fois entendu les ostréiculteurs se
plaindre qu’ils se demandent si nous ne les menons pas une fois de plus en
bateau.
Nous expliquons que M. de Lipkowsky a officiellement engagé sa parole
sur ce problème; (Mais que vaut la parole d’un député devant un banquier?)
Ces messieurs veulent des faits, des actes, des garanties, bref ce sont des
banquiers et non pas l’armée du salut.
Sur intervention téléphonique de M. de Lipkowsky, il lui est demandé des
écrits : la confiance règne ! (la parole du député perd dix points!)
C’est dans cette attente qu’un rendez-vous est pris pour le lundi 10 mai,
charge à nous de savoir où nous devrons faire adresser les fonds à Vancouver.
Au cas où une lettre de M de Lipkowsky permettrait certains apaisements, j'obtiens un numéro privé, le C.A. étant fermé le samedi. »
Sept heures du matin samedi 15 mai.
Mme Ruppa a passé une très
mauvaise nuit. L’avion ne peut pas décoller, certaines formalités manquant
malgré les avis fournis. Elle a dû réveiller les banquiers du Havre pour régler
définitivement l’affaire.
Pauvres banquiers !
Encore pour des raisons de couloirs aériens intervient une modification
des horaires : l’arrivée est prévue pour 13h50. Les camions doivent être en
place à 13h.
Henry, infatigable, avise tout le monde ainsi que le restaurant de
Bordeaux. Les huîtres, ne pouvant être étendues le jour de leur arrivée, et
devant la crainte d’un possible sabotage, Henry demande au lieutenant de
gendarmerie de Marennes s’il accepte que certains camions soient gardés dans
leur cour ; accord complet du lieutenant. ( Même les gendarmes s’y mettent )
A partir de midi les contacts sont rompus avec Le Havre, Mme Ruppa
voulant être présente à l’arrivée des huîtres. C’est son premier avion et elle a eu
trop de mal à l’obtenir , elle mérite bien d’être là.
Pour toute information Henry doit se mettre en rapport avec la société
Beau et Cie de Bordeaux, ou bien auprès de MM. Millac, Jourdin ou Guittard à
l’aéroport de Mérignac. Tout est en place, rien, absolument rien ne peut plus
arrêter l’opération Résur.
Un seul détail, il manque un conducteur pour le camion du président
Grolleau, son fils Bernard en déclinant la responsabilité; ce sera R. G. qui
prendra le volant.
De plus, Henry doit fournir au service de police de l’aéroport bordelais le
nom des conducteurs afin d’établir le permis d’entrée en zone sous douane.
Laissons à Henry la description du déroulement de cette mémorable
journée, aboutissement d’une longue bagarre.
« Il pleut, mais le rendez-vous est respecté. A Saujon-Ribérou tous les
camions promis sont là, personne ne manque. Une flotte importante de véhicules
légers appartenant à des ostréiculteurs nous accompagne pour soutenir notre
action, ou par curiosité.
Même certains Oléronais favorables à nos idées sont présents; ce sont
surtout des membres du syndicat Cousteau, lui-même en tête.
Mr B. est aussi présent avec son camion offert en plus de sa carte d’
importateur.
Nous perturbons un peu les habitants de ce quartier tranquille de Saujon,
huit jours avant la foire mensuelle ils ne comprennent pas ce rassemblement.
Nous apposons sur les V.L. et les P.L. les banderoles, et traçons l’itinéraire.
Rendez-vous à tous au restaurant « le Bowling international » à Mérignac.
Sur les conseils de Maurice Quantin la route par Saintes et Pons est
préférée, des travaux au niveau de Touvent freinant la circulation.
Pour que le ciel soit avec les ostréiculteurs, Pierre et Simone Grolleau.
s’arrêtent en route pour prier dans une église ( il ne faut rien négliger. )
A 10 H 30 nous sommes au Bowling et je file à l’aéroport pour savoir où
parquer la flottille de camions. J’y retrouve M. Guittard qui essaie
désespérément de m’obtenir à mon domicile afin de me signaler le retard pris
au cours de l’escale de Goose-Bay, côte est. L’arrivage est prévu pour 17 H 10.
Je téléphone au Bowling pour retarder l’heure du déjeuner et donne
quartier libre à tous afin qu’ils viennent à l’aéroport, inconnu d’un bon nombre
d’entre eux. Je reste sur place avec Jacqueline, ma femme et Margaret, ma fille,
pour accueillir Mme Myriam Ruppa, arrivée la veille du Havre avec son mari et
son patron M. Jacques Youx.
Nos collègues d’Arcachon commencent à arriver vers 11 H 30 ainsi que
les délégués de l’I.S.T.P.M avec à leur tête M. Marteil.
Sur la zone sous douane je retrouve mon amie Myriam qui attend Mr
Nordqvist en provenance de Copenhague à bord d’un avion taxi. Il est
accompagné de Melle Kirsten qui deviendra plus tard son épouse, ainsi que de
Mr Lorinsen et de sa femme. Nous évoquons les possibilités commerciales avec le
Canada et la future Mme Nordqvist intervient pour dire que c’est une question
de survie. Elle comprend un peu le français et se rend compte que nous avons
mis tous nos espoirs dans cette opération.
Nous retournons au Bowling pour le déjeuner et Pierre Ruppa se joint à
nous pour représenter sa maison. Au cours de ce déjeuner nous avons droit à un
discours enthousiaste de M. Duppin et à ses remerciements très sincères, lui-
même étant très touché du geste de Marennes-Oléron.
M. Marteil nous raconte son voyage éclair au Canada. Pendant son
exposé le service s’interrompt et les autres consommateurs du restaurant aussi.
Chacun veut en savoir plus en attendant l’avion. Pour la première fois nous
entendons parler de Pendrel Sound, lieu où sont pêchées les huîtres et d’où elles
sont expédiées.
Mon déjeuner est écourté par le téléphone : l’avion a gagné du temps sur
son horaire et l’atterrissage est prévu pour 16 h 10.
Après colloque avec Pierre Grolleau, il est décidé d’avertir les
responsables de l’épandage pour remettre l’opération au lendemain.
La pluie est toujours au rendez-vous mais pour les huîtres c’est un beau
temps (les prières de Pierre Grolleau y sont-elles pour quelque chose?)
Une équipe de cinéastes professionnels est en place. Ils travaillent pour
une société américaine car ils doivent effectuer le reportage en entier malgré les
conditions météorologiques absolument désastreuses pour eux.
Nos camions sont en place, tous portent la marque « Résur ». Vers 15 H
bon nombre d’Arcachonnais viennent se joindre à nous et vers 16 H ce sont plus
de 300 personnes qui attendent avec impatience l’arrivage de ce D C 8 en
provenance du Canada.
M. Guittard prend contact avec la tour de contrôle à 15 H 30 et l’avion
est pris en charge par le radar de Mérignac. A 16 H 30 les haut-parleurs de
l’aéroport signalent : Vol Air Canada en provenance de Vancouver, atterrissage
à 16 H 12. Et à 16 H 12 il touche le sol français. Ce dimanche
16 mai 1971 à 16 H 12 c’est bien le jour « J »et l’heure « H » de
l’opération Résur ».
C’est la ruée sur la zone sous douane, policiers et douaniers sont vite
débordés.
Le gros D C 8 aux couleurs d’Air Canada, frappé de la fameuse feuille
d’érable vient de se ranger sagement et majestueusement au parking de
déchargement. La passerelle est avancée afin de permettre à l’équipage de
débarquer de son poste très exigu . L’immense porte de l’avion-cargo s’élève,
révélant la première palette. Un énorme transpalette de l’armée de l’air
s’approche et c’est lui qui descend la marchandise. Consigne est donnée à tous
nos collègues de ne toucher à rien afin que MM. Marteil et Le Dantec, de
l’I.S.T.P.M., puissent procéder aux contrôles indispensables.
Le premier sac versé sur un chariot attire tous les curieux; la taille des
huîtres est assez surprenante. Chacun se bouscule pour les voir de plus près.
Quelle belle et joyeuse bousculade ! Je suis obligé de monter sur le chariot pour
montrer les huîtres, une dans chaque main, tellement elles sont grosses. L’état
de fraîcheur est constaté et après l’ouverture d’un sujet, la chair de l’huître
nous laisse béats d’admiration. La joie se peint sur tous les visages et le feu vert
est enfin donné par l’I.S.T.P.N.
Après partage fait par M. Cousteau, le chargement des camions est
entrepris y compris celui d’Arcachon, où 113 sacs sont embarqués.
Un seul faux pas, de la part des Arcachonnais: en passant près du camion
de M. Dupouy, je constate avec amertume que M. Corthier plie l’affiche
Marennes- Oléron figurant au-dessus de Opération Résur afin de cacher à ses
mandants que c’est nous, Marennes-Oléron ,les organisateurs. Je ne puis
m’empêcher de manifester mon mécontentement, et gentiment Mr Dupouy sait
remettre les choses en ordre, sachant très bien qu’il lui sera possible de refaire
l’opération en sortant de l’aéroport.
Il est tard, et réfugier des camions à la gendarmerie de Marennes s’avère
inutile. Le départ est donc donné avec rendez-vous le lendemain aux points de
déchargement prévus.
C’est sous une pluie battante que le convoi s’éloigne de l’aéroport. Sacré
dimanche de Saint Honoré!
Henry continue son récit :
—« Tôt, le lundi matin 17 mai, la marée réglant le travail, le
déchargement des camions est entrepris. J’effectue une rapide visite des points
de déchargement sur les chalands.
A Mornac, pour le fameux banc de Mouillelande, Michel Joguet a tout
mis en place et l’opération se déroule de façon satisfaisante. Le téléphone arabe
(le meilleur) a bien fonctionné et il y a assez de monde pour effectuer le travail.
A Chatressac les ostréiculteurs sont les uns à côté des autres sur
l’appontement de René G. pour décharger le camion de Maurice Quentin .
L’espoir anime tout ce monde, est-ce la fin du malheur? Roland Met
(dit "radar") immortalise ce moment historique : il mesure, pèse, tripote les
huîtres avec un sourire de satisfaction.
A Bourcefranc-Le Chapus, c’est
l’allégresse. Même M. le député de Lipkowsky, l’homme des moments noirs,
assiste radieux au déchargement. Une vieille dame en pleurs s’approche et nous
félicite : sans vous, dit-elle, le bassin et tous les jeunes étaient des gens morts,
merci, merci à vous .
C’est un ballon d’oxygène que respire tout le bassin. Les gens de tout
bord voient enfin le bout du tunnel, c’est la joie, c’est la fête, pour un peu on
tirerait un feu d’artifice.
Un doute plane quand même chez tout le monde: pourvu qu’ELLES
n’avortent pas ! On ne veut pas y penser, et vive le Canada!
Henry laisse tout ce beau monde à son labeur car il doit penser à
récupérer les 113 sacs alloués à Arcachon lorsque arrivera Résur II, et surtout
trouver les fonds pour 1e financement de Résur III qui sera partagé avec
Arcachon.
Pour finir ces “deux glorieuses” Henry, toujours sur la brèche, ramène
Mme Ruppa à Angoulême après être passé au C.A. de Saintes pour le règlement.
Encore très tôt ce matin du 18 mai, le téléphone s’agite.
L’infatigable Mme Ruppa à peine descendue du train, vient d’avoir des
nouvelles de Vancouver. Pour des raisons de marché, l’avion destiné à
Arcachon ne pourra parvenir que le jeudi 20 et le troisième avion, qui doit être
partagé entre les deux bassins, ceci à la demande du député Cazenave, ne sera
donc à Mérignac que le jour de la Pentecôte.
Il y a lieu de prévoir un bon
balisage en mer.
Lorsque la totalité des 105 tonnes d’huîtres mères sera immergée,
l’opération Résur sera enfin concrétisée dans sa première phase.
Il ne reste plus qu’à attendre la ponte.
Vu cette forte et brutale demande de marchandise, Westley H. Parry a tendance
à réclamer encore 2 cents de plus. Etant donné le tonnage et l’éventualité de
poursuite dans les années à venir, le prix de départ est conservé.
La principale préoccupation, pour Henry et ses amis, est financière. Il
leur faut trouver de quoi financer encore 17 tonnes d’huîtres mères, et
évidemment, personne n’a d’argent. Pourtant les huîtres sont commandées et les
arrivages programmés, avec des arrivées avant le 1er juin impérativement.
La sous-préfecture et les mairies du bassin ne semblent pas être en
mesure de financer, leurs budgets sont déjà préétablis. Seule la chambre
d’agriculture offre une possibilité : nous verser sur les claires une participation
annuelle de plus de 10.000 F sans rétrocession à ce jour. C’est donc vers cet
organisme que les efforts vont se diriger, car tout est “lutte de vitesse” entre
ostréiculteurs fauchés et l’administration qui fait la sourde oreille.
Henry nous la raconte:
« Dès 9 h du matin, ce 19 mai, j’essaie de joindre, à la chambre
d’agriculture de La Rochelle, le président Chaigne. Malheur, il est à Paris et ne
doit rentrer que ce soir ou demain matin.
Je joins le député Gransard pour avoir son avis. Il nous assure de son
concours et décide de se joindre à nous pour rencontrer Mr Chaigne.
Sitôt après c’est Mme Ruppa au téléphone qui vient d’avoir des démêlés
avec le directeur commercial d’Air-France-Bordeaux, qui veut absolument le
fret.
N’ayant pas l’autorisation de survol du territoire canadien, il propose
d’effectuer un transit sur l’aéroport de Montréal où ils ont la permission
d’atterrir. Inadmissible, les huîtres embarquées doivent être mises à la
disposition du bassin dans les délais les plus courts, ce transit est inacceptable.
Dès 7 h du matin, le 20 mai, jour de l’Ascension, j’apprends la présence
de Mr Chaigne dans un hôtel de La Rochelle car la veille il est arrivé trop tard
pour prendre le bac de l’île de Ré ! Hélas ! le temps de joindre l’hôtel il est
parti! Le suivant à la piste, j’arrive à le joindre à Ste Marie de Ré. Il accepte de
nous rencontrer à la sortie du banquet des sapeurs-pompiers auquel il assiste,
c’est à dire vers 16 H. J’avise le député Gransard de ce rendez-vous. Mme
Gransard regrette beaucoup, aujourd’hui, jour de l’Ascension, M. le député
...est malade. M. Papeau, conseiller général de Royan, communiste, nous
assure de sa participation. Rendez-vous est pris à l’embarcadère de la Pallice,
le pont n’existant pas.
Pierre Grolleau et Claude Perret se joignent à moi pour
ce rendez-vous dans l’île de Ré. Nous attendons vainement Mr Papeau et
partons à la recherche de Mr Chaigne.
C’est dans le nord de l’île, à St Clément des Baleines, que nous finissons
par le retrouver alors que le rendez-vous était à Ste Marie dans le sud. Nous
ignorions que nous avions affaire à des autorités baladeuses ! Dans cette
opération Résur on aura tout vu, et ce n’est pas fini.
Pour arrondir les angles de la discussion nous offrons de céder 5 tonnes
d’huîtres mères aux ostréiculteurs de l’île de Ré, récemment touchés par
l’épizootie. M. Chaigne ne veut pas prendre position mais promet de réunir la
Chambre le lendemain matin.
Aussi, le lendemain matin, le président Chaigne fait savoir à Pierre
Grolleau que la Chambre d’agriculture ne peut ni ne veut intervenir ! Aussitôt je
contacte M.Franc-Valluet, maire de La Tremblade, afin d’obtenir son appui.
Pour ajouter, voilà Air France qui attaque: la compagnie offre de
prendre en charge le camionnage des huîtres à travers le
Canada jusqu’à Montréal de façon à avoir le fret. Lorsqu’on sait qu’il faut cinq
à six jours pour effectuer le trajet Vancouver-Montréal , on se demande si cela
est une proposition sérieuse, ou bien si Air France assimile les huîtres à des
pommes de terre...
A 15 h, la mairie de La Tremblade nous fait savoir que la Chambre
d’agriculture vient de faire machine arrière et offre 50.000 F. L’intervention du
maire de La Tremblade a été fructueuse mais dans l’état actuel des choses,
c’est encore insuffisant.
Madame Ruppa est désespérée ce samedi 22, car elle pense que nous
n’aurons jamais l’argent pour l’affrètement du Résur III. Elle veut bien
attendre jusqu’au 25 mai pour confirmer ou annuler...Le décalage horaire
a parfois de bons côtés.
Il faut avouer, que de toute façon, il s’avère impossible de préparer les
huîtres d’une façon impeccable, le temps du ramassage dépassant largement
l’horaire à respecter pour l’embarquement à Vancouver-Airport.
J’ai une réunion avec les jeunes ostréiculteurs pour la préparation du 1er
jamboree de la conchyliculture. Ils s’énervent et veulent aller contacter le maire
de La Tremblade avec qui ils ont des liens d’âge.
Seul le conseil général peut nous tirer de l’impasse. Arcachon n’a pas la
possibilité d’acquérir la totalité du charter. Le président Duppin, contacté,
attendra lui aussi lundi ou mardi.
Le président Dullin, président du conseil général, doit rentrer à
Aigrefeuille demain matin dimanche 23 mai. Pierre Grolleau le contactera pour
lui soumettre notre problème.
En marge de tous ces évènements une personne qui en a « gros sur la
patate » c’est le fonctionnaire de l’I.S.T.P.M. qui avait voté contre l’opération Résur.
Devant l’engouement populaire qui l’a accompagnée et la réussite qui l’a
suivie, il s’est trompé sur toute la ligne. Errare humanum est.
Il vient se plaindre à moi (!) de sa mutation soudaine dans un
laboratoire désaffecté à St Gilles en Vendée. Je lui fais doucement comprendre
qu’il a pris de gros risques en mettant son opposition à l’entrée des huîtres du
Canada en se basant exclusivement sur un atlas ».
Pierre Grolleau fait sortir de sa douche le président Dullin ce dimanche
23 mai; tout humide, il nous offre une participation de 30.000 F. Merci, M.
Dullin, vous pouvez retourner sous la douche !
C’est encore insuffisant. Le préfet de la Charente Maritime va réunir le
conseil général d’urgence le lendemain matin, ainsi que la Chambre
d’agriculture. Les hautes sphères départementales se remuent. L’espoir renaît
mais la pendule tourne un peu trop vite pour Henry et les ostréiculteurs.
Lundi
24 mai, M. Maxime, vice-président du conseil d’administration du C.A.
intervient à son tour; le président Dullin fait un pas supplémentaire et offre
définitivement la somme de 50.000 F. Devant ce résultat la S.R. est convoquée
d’urgence au bureau des affaires maritimes. Après l’évocation des faits et le
point sur le financement, les membres demandent s’il est possible que le
complément indispensable pour la troisième opération Résur, soit 70.000 F,
puisse être prélevé sur la taxe professionnelle, en espérant le remboursement
des droits et taxes.
Quelle salade ! Ce problème est vital pour la profession, aussi les
membres présents de la S.R. donnent les pleins pouvoirs au président Grolleau
afin de réaliser l’ opération.
M. D. du C.A. est d’accord : il avance la somme nécessaire car des
directives supérieures sont arrivées, toutes les hautes personnalités
départementales ayant avisé la caisse du C.A. de Saintes. Pression, pression,
quand tu nous presses...
Henry et ses amis ne sont plus les seuls à se battre. La rumeur publique et
la confiance des professionnels vis à vis de leurs dirigeants les soutiennent
envers et contre tous. Ils sont poussés par une vague populaire et les autorités
diverses l’ont bien senti.
M. Youx, directeur de Mme Ruppa, s’envole immédiatement pour
Vancouver à l’énoncé de toutes ces bonnes nouvelles. Son rôle? Activer la pêche
et les embarquements. Il ne faut pas oublier que la date limite de toute
importation est fixée par décret à fin mai, ce qui veut dire le 31 mai à minuit,
donc le dernier avion doit partir avant minuit le 31.
Ainsi Résur restera continuellement dans la légalité et les opposants au
projet ne pourront en aucun cas mettre des bâtons dans les roues ( ils sont
prêts, ces bâtons !)
Malgré tout, Résur 1971 semble être parfaitement sur les rails.
A 9 h, mardi 25 mai, Henry et Pierre Grolleau sont au siège du C.A. de
Saintes où Mr D. leur annonce qu’il leur ouvre immédiatement et sans
aucune difficulté un crédit documentaire de 180.000 F pour couvrir la moitié du
troisième charter. A 13 h tout est en place.
De Saintes les deux hommes partent rapidement à la mairie du Château
d’Oléron où les ostréiculteurs sont réunis.
Munis d’un échantillon d’huîtres mères et avec l’appui des ostréiculteurs
du sud de l’île, Rémy Charrier et Robert Cousteau , ils essayent de convaincre
les irréductibles du nord. Après de nombreux et longs palabres, les deux
hommes réussissent à convaincre leurs collègues de réaliser l’ensemencement
d’huîtres canadiennes dans le chenal de la Perrotine. A cet effet ils auront
droit aux 4 tonnes qui seront à prendre à titre de rétrocession d’Arcachon sur le
premier avion. Sacrée journée !
M. Youx est arrivé à Vancouver et se rend immédiatement sur les bancs voir
où en sont les chargements car nous sommes le 26 mai.
Plus que cinq jours pour les deux avions !
La pêche est activée et s’effectue même la nuit dans des zones non
autorisées (chut !). L’engagement sera respecté, seule chose intéressante.
L’avion pour Arcachon est prévu pour le dimanche 30 mai, au lieu du 20,
et le troisième pour le mardi 1er juin avec départ de Vancouver le 31 mai avant
minuit. Ce sera juste! Heureusement le mois de mai a 31 jours.
Henry a les pièces douanières (D3) du 2ème avion pour pouvoir les
transmettre au C.A.
Quelques difficultés apparaissent entre le C.A.de la Charente Maritime et
le Crédit Maritime de la Gironde. Ce sont des rivalités entre banquiers, ils
n’ont qu’à se débrouiller entre eux, faute de quoi ils risquent le boycottage par
les professionnels.
L’autorisation d’immersion arrive le 27 mai au bureau des Affaires
maritimes de Marennes où Henry doit la récupérer l’après-midi. Le D 3
douanier est entre les mains de M. D. au C.A. La demande d’exemption
des droits et taxes est en place. Tout a l’air correct.
Pas tout-à-fait cependant, car il y a des fuites, et nous apprenons qu’Air France est au courant
d’une étude sur la possibilité de rentrer des huîtres de taille marchande en
provenance du Canada.
De Vancouver, M. Youx. signale le 28 mai que les huîtres sont
magnifiques et qu’une mission canadienne de la province de Colombie
Britannique se rendra en France cet été. Cette mission doit amener des
échantillons avec une indication de prix pour des huîtres commercialisables en
septembre.
Revenons à nos avions. Vent arrière, le D C 8 d’Air canada arrive le 30
mai avec une heure d’avance à Bordeaux Mérignac. C’est Résur II. Dans sa
grande largesse, la S.R. d’Arcachon offre le repas au restaurant de l’aéroport (
ils le peuvent !)
Et de deux. A quand le troisième?
Au retour de Mérignac, il faut déjà prévoir les camions pour le 3ème
charter. Retour à Bordeaux Mérignac le mardi 1er juin pour le dernier avion
au titre de l’année 1971. La télévision française (enfin!) est en place…
Rien à dire sur ce troisième avion, on commence à en prendre l’habitude.
La rentrée des "huîtres pondeuses" est terminée.
Fin de Résur III.
Va commencer maintenant un chapitre aussi éprouvant que toute cette
histoire; l’attente du résultat.
Les trois opérations Résur se sont terminées pour la Pentecôte et l’attente
commence à partir du 2 juin pour la Sainte Blandine. Sacrée sainte !
Attente, inquiétude, note salée, très salée...Et si tout cela sombrait?
Pour tout arranger, finalement, c’est au tour de Marennes-Oléron
d’organiser le congrès de la conchyliculture française, à Royan .
Afin de motiver les jeunes ostréiculteurs aux nerfs fragiles, il est organisé
le premier Jamboree de la conchyliculture et évidemment c’est sur les épaules
d’Henry que tombe ce pavé.
Le Jamboree doit avoir lieu le 4 juin, et le congrès
le 5 juin. Pas le temps de refroidir!
Ce Jamboree, le premier du nom, s’effectue par une chaleur accablante
(heureusement Résur est au frais sous l’eau). Les débats vont être partagés en
deux parties avec comme chef d’orchestre, pour la première, Mme Franc-
Valluet, femme du maire de La Tremblade, et pour la deuxième M.
Jousseaume, maire du Château d'Oléron.
En réalité, c’est M. Dérouin des Affaires Maritimes, et M. Marteil, de
l’I.S.T.P.M. qui se taillent la part du lion.
Publiquement M. Marteil va s’opposer au professeur Daste et par là
même redore le blason de l’I.S.T.P.M. qui en a bien besoin.
Le lendemain 5 juin, c’est le congrès; il y a dans la salle un échantillon
d’ostréiculteurs de toute la France : bretons, charentais, arcachonnais,
représentants du bassin de Thau, officiels de tout poil, casquettes galonnées,
banquiers, police, tous sont présents, personne ne manque.
La grande salle du palais des congrès de Royan est pleine à éclater.
Le congrès se termine par une intronisation faite par les « galants de la
verte Marenne » de Messieurs Velitcbkowitch et Dérouin et de Mme Ruppa.
M. Mazière, de l’I.S.T.P.M. de La Tremblade
signale le 9 juin une mortalité importante sur les gisements naturels où sont
éparées les huîtres mères. Il demande l’ouverture d’une enquête et déjà des
murmures sourdent dans le petit monde ostréicole. Est-ce la fin d’un beau rêve?
Malgré tout, les ostréiculteurs préparent les berceaux
des futurs bébés en employant tous les systèmes traditionnels du captage.
Ces dames peuvent pondre il y aura assez de berceaux de collecteurs pour
les recevoir.
Nos scientifiques de l’I.S.T.P.M., après avoir commencé à sonner le demi-
glas des huîtres mères, surveillent attentivement les cliniques d’accouchement.
Ces cliniques sont assez importantes, car sur le banc des Flamands nous avons
22 tonnes d’huîtres mères, sur Mouillelande 16 tonnes, à Boyard-Perrotine 8
tonnes et dans le chenal de Marennes 7 tonnes, soit au total 53 tonnes.
Ajoutons, pour les Flamands et Mouillelande,6,8 tonnes supplémentaires de
japonaises et le compte est fait.
Dès les premiers jours de juillet quelques petites larves sont décelées en
haut de Seudre. Sitôt la température de l’eau à 21, des émissions plus
importantes de larves sont remarquées. Entre le 19 et le 22 juillet, une
importante population de grosses larves susceptibles de se fixer est comptée en
Seudre. Le délai est court mais tout le monde est fin prêt..
A en croire certaines rumeurs mal fondées, on aurait vu des
ostréiculteurs très inquiets coucher auprès de leurs berceaux de captage afin de
savoir...comme un père attend à côté de la salle d’accouchement lors de
l’arrivée du premier enfant !Jamais on n’a vu le pays entier si attentif à toute
nouvelle venant de la mer ! Pour un peu on marcherait sur la pointe des pieds.
L’opération Résur va-t-elle réussir? Henry va-t-il être pendu, ou bien
porté en triomphe ?
Comment est-to qu’tout thieu drigaille s’a terminé? Bin mon bon vouélà o
y a qu’à songher qu’tout thieu o l’est in rouman d’aventures et jarpons-nous
vare la fin d’juillet d’la minme eunée.
A thieu moment in pauv’bougue d’ostréieur dau villaghe de Coux, en bas
dau Piochet, s’en vat coume tous les jhours vouère à son chantier d’collecteurs
en Seude. Coume y disant ithite, y va vouère peurre vouère, si vouet thieuque
chouse bouter.
Y s’déhale à la pousse dans la ch’nau de Coux à bord d’in méchant
couralin qui fait l’ève coume ine grèle. A la goule d’la ch’nau y saque dans les
naghes quates échaumes copées dan n’in brin d’piq’tage d’noisetier teurvé à la
laisse de l’ève, et peurnant ses deux avirons antés fout son thiu sus la toute dau
canot et y souque, mais ...pas trop fort.
Vous parlez d’in tabiât !
O l’est l’dimanche au matin, en début d’ine maline ronde, des bas d’eau
d’onze heures et d’mi, midi, in degré d’reune, juste à l’heure dau déjunet. En
Seude o y a à peu près autant d’mare qu’dans in pot d’chambe.
Thieu pauv
bougue se jarpe à son chantier, rabistille troués ou quates cordées crassouses
qu’aviant quasiment chet, les r’fout en piace comme y peut et n’en chope ine
qu’a l’thiu qui traîne dans la vase. Sans songher à renne y la jacagne dans l’ève
avant d’lar’mette en piace. A l’est fagnouse c’t’enfant dau diabe, aussi y
ménaghe pas sa peine peurre la déjhobrer.
Sitôt fin propre y la r’garde et là, mes bons enfants, les oeillos y avant
sorti’d’la tête : sus thiellés tés d’bordaques bin mirolés, o y a une grouée pas
creyabe de p’tits points nègues !
Sus l’moument y l’a cru qu’ ine grousse mouche nègue a pounute sus ses
tés. O y a les ines sus les autes des chiures de mouches peurtout . Bin vite y
jacagne ine cordée dans l’ève :minme chouse.
Ine trouésièrne, ine quaterième, pareil, minme chouse.
De jouée, y
r‘garde peurtoute, dau haut en bas dau chantier, manque de chère dans l’ève vu
qu’le chantier rouche tout juste, s’cope un det, érale ses thiulottes à t’in fil de
fare, vire, torne, feurgougne dans l’mitan des cordées peurtoute o l’est qu’ine
chiure de mouche, peurtoute, peurtoute !Tout d’in cot y comprend que c’qui
vouet, o l’est des p’tites canadiennes, de thieu foutu pays à l’aute bord dau
monde, encore pu loin qu’les coulonies et qu’Rochefort.
Tout va-t-aller benne astheur, j’sont sauvés ! Vite o faut qu’y r’tourne à
terre peurre zou beurlander peurtoute.. D’émoution y laisse le grappin au fond,
s’emmanche les jhambes dans sa peule à essentiner, lâche ine ante dans l’ève,
vire de thiu et s’en r’tourne en Coux tant qu’la bote peut en donner.
A longueur
d’un pet fouéreux d’la goule d’la ch’nau y souque si tallement sus ses antes
qu’le pus mauvais peute d’in cot. Pas feugnant y saute sus sa goudille et o l’est
d’minme qu’y se r’teurve à sa grave.
Aussi set, il amarre le canot à terre et, sans foute à bas ses cuissardes,
saute sus son vélo, cap chez Henry au Piochet.
Dans les cabanes, peursoune p’le ghéner. Si, au diabe sus les ciaires, un
gars, qui dira pus tard qu’il avait cru vouère passer in coureur cyclisse en vélo,
:compiètement fou et qui gesticulait en peudalant.
Dans l’villaghe de Coux, peurre aller pus vite y prend in raquouét ente
deux queureux et gagne dix mètres.
Au Piochet, en haut d’la butte au coin d’chez Charles, y prend l’viraghe à
gauche si douc’ment qu’y manque d’biser l’mur d’en face. Y fonce, r’teurne à
dret, saute les deux rails d’in cot d’rein, atterrit d’vant la cour d’Maurice et
fonce coume ine éloise.
Benne obyigé qu’il a été d’friner envec ses sotilles, peure enforner
l’porteau d’Henry. Y ser’teurve dans son manière d’queureux par mirackye et
teurmine la lancée dans la porte en varre dau bureau d’Henry. Crac, qu’a fait .
Et a peute pas !
-« Voure est-to qu’t’es ? Vint vite vouère, qui gueule tant qu’y peut n’en
douner,
O y est, j’havons gagné ! »
A c’t heure là, emprès son déjuné et son café, Henry buffote généralement
dans ine manière de beurgère, ben éparé, la sous-venteurière dépattée et y
pense à reune ! Vous parlez d’in gars qu’a fait in bond ! Effaré d’tout thieu
barouffe, y manque de chère d’la beurgère, se r’teurve musâ conte musâ envec
thiel énergumène qui gueule theurjhou comme in via qui veut teuter et qui
saute sus piace comme ine bique !
Dans sa main drète y l’a in té de bordaque qu’est nègue de naissain.
— “A r’garde thieu, Henry, a z’avont pondut comme o faut !“
O l’est thielle darnière phrase que j’gardrons peurre fare l’hureuse
conciusion d’toute thielle histouère. Vous allez m’dire, comment est-to son
chaffe à thieu l’ostréieur qu’a biseuillé l’peurmier thiéllées foutues drôlesses
dau Canada ?
Eh benne, l’histouère zou dit pas.
J’dirons qu’y vint d’ine veille, veille famille dau sud, d’Italie, qui un jour
de bruine s’a foutue au set à la côte dau temps des anciens Saintonghais
Romains. Y ‘z’avions taleuné sus in gabeu à la goule d’ine riviare qu’aura in
jour coume chaffe : La Seude.
Son chaffe ? SERGIUS ORATA !
Comment toute cette affaire s’est-elle terminée?
Eh bien, mon bon, voilà ! Il n’y a qu’à songer que tout cela est un roman
d’aventures, et reportons-nous vers la fin juillet de la même année.
A cette époque, un pauvre bougre d’ostréiculteur du Village de Coux, en
bas du Piochet, s’en va, comme tous les jours, voir son chantier de collecteurs,
en Seudre.
Comme on dit ici, il va voir pour voir s’il voit quelque chose arriver. Il se
déhale à la pousse dans le chenal de Coux, à bord d’un méchant couralin (
bateau plat ) qui fait l’eau comme un tamis. A l’entrée du chenal il met dans les
« nages » quatre tolets ( bouts de bois ) coupés dans un brin de piquetage en noisetier trouvé à la laisse de l’eau, prenant ses deux avirons
« antés » ( raccommodés au milieu par une coupe en biseau ) met son derrière
sur le banc du canot et souque sur les avirons...mais pas trop fort.
Vous parlez d’un tableau .
C’est dimanche matin, en pognance de maline; moyenne des bas d’eau
d’onze heures et demie, midi ,un degré de rien, juste à l’heure du déjeuner. En
Seudre il y a à peu près autant de mer que dans un pot de chambre.
Ce pauvre bougre s’accroche à son chantier, remet en place trois ou
quatre cordées crasseuses qui sont quasiment tombées et en prend une qui a le
derrière traînant dans la vase.
Sans songer à rien, il a remue dans l’eau avant de la remettre en place.
Elle est sale, cette enfant du diable, aussi il ne ménage pas sa peine pour la
laver dans l’eau.
Dès qu’elle est bien propre il la regarde et là, mes bons enfants, les yeux
lui sortent de la tête : sur ces coquilles de portugaises bien lavées, bien
briquées, il y a une quantité pas croyable de petits points noirs
Sur le moment il croit qu’ une grosse moucha noire a pondu sur ses
coquilles Il y en a les unes sur les autres de ces crottes de mouches, partout .
Bien vite il secoue une autre cordée dans l’eau : même chose
Une troisième, une quatrième, pareil, même chose.
De joie, il regarde partout du haut en bas du chantier, manque de tomber
à l’eau vu que le chantier paraît tout juste, se coupe un doigt, déchire ses
culottes à un fil de. fer, vire, tourne, tripote dans le milieu des cordées; partout
ce ne sont que des crottes de mouches, partout, partout.
Tout à coup il comprend que ce qu’il voit, eh bien ce sont des petites
canadiennes, de ce fichu pays de l’autre côté du monde, encore plus loin que les
colonies et que Rochefort.
Ca y est, elles ont pondu. Tout va aller bien maintenant, nous sommes
sauvés. Vite il faut qu’il retourne à terre pour porter cette nouvelle partout.
D’émotion il laisse l’ancre au fond, s’emmanche les jambes dans sa pelle
à sortir l’eau du couralin, lâche un (aviron) anté dans l’eau, vire le derrière et
s’en retourne à Coux tant que la bête peut en donner (c’est à dire à toute
vitesse).
A la longueur d’un pet foireux (distance approximative laissée à
l’initiative des acteurs) de l’entrée du chenal, il force si fort sur ses avirons
antés que le plus mauvais casse d’un coup.
Pas fainéant il saute sur sa godille et c’est comme cela qu’il se retrouve à
sa grève.
Aussi sec, il amarre le canot à terre, et sans sortir ses cuissardes saute
sur son vélo, direction chez Henry au Piochet.
Dans les cabanes, personne pour le gêner. Si, au diable, sur les claires y
a un gars qui dira plus tard qu’il a cru voir passer un coureur cycliste en vélo
complètement fou et qui gesticulait on pédalant.
Dans le village de Coux, pour aller plus vite il prend un raccourci entre
deux queureux (intraduisible:
placettes) et gagne 10 mètres.
Au Piochet, an haut de la butte, au coin de chez Charles, il prend le
virage à gauche si doucement qu’il manque d’embrasser le mur d’en face. Il
fonce, retourne à droite, saute les deux rails d’un coup de rein, atterrit devant la
cour de Maurice et fonce comme un éclair.
Bien obligé qu’il a été de freiner avec ses talons pour passer le portail
d’Henry ! Il se retrouve dans son espèce de queureux( toujours intraduisible, ici
petite cour) et termine son élan dans la porte en verre du bureau d’Henry.
Crac ! Qu’elle a fait ! Et elle n’a point cassé !
-« Où c’est-y que tu es ? Viens vite voir, qu’il gueule tant qu’il peut en
donner ; ça y est, on a gagné ! »
Après son déjeuner et son café, Henry « soufflotte » généralement dans
une espèce de bergère, bien allongé, la ceinture du pantalon déboutonnée, et il
ne pense à rien…
Vous parlez d’un gars qui fait un bond ! Effaré de tout ce bruit, il manque
de tomber du fauteuil, se retrouve nez à nez avec cet énergumène qui gueule
toujours comme un veau qui veut téter, et qui saute sur place comme une petite
chèvre.
Dans sa main droite il a une coquille d’huître qui est noire de naissain :
-« Regarde, Henry, elles ont pondu comme il faut ! »
C’est cette dernière phrase que nous garderons pour faire l’heureuse
conclusion de toute cette histoire.
Vous allez me dire : quel est le nom de cet ostréiculteur, qui a vu le
premier ces foutues drôlesses du Canada ? Eh bien, l’histoire ne le dit pas.
On peut imaginer qu’il vient d’une vieille, mais vieille famille, au sud de
l’Italie qui, un jour de brume, s’est mise au sec à la côte du temps des anciens
Saintongeais-Romains. Ils avaient talonné sur un tas de vase de l’embouchure
d’une rivière, qui portera un jour le nom de « La Seudre ».
Le nom de ce gars ? Sergius Orata !
Nous remercions vivement notre ami Henry Blanchard sans qui ce récit
n’aurait pas pu être écrit.
Grâce à ses notes journalières, prises lors de l’opération Résur, nous
avons pu faire revivre l’histoire de cette aventure.
Tous nos remerciements aussi à Messieurs Maurice Guionneau et Daniel
Razé pour les documents qu’ils nous ont fournis, également à Laurent Brégeon
qui a mis à notre disposition les archives du musée maritime de La Tremblade.
Nous sommes reconnaissants à toutes les personnes qui, peu ou prou,
nous ont aidés dans cette rédaction.
Claude Goulevant , Etaules 1994
- Notes d’Henry Blanchard
- Les journaux de l’époque :
- Science et pêche (I.S.T.P.M.)
- Cultures marines
- Sud ouest
- Le littoral
- Bulletins d’information de la S.R. Marennes-Oléron
ADE : agent des affaires Maritimes
AFFAIRES MARITIMES :Organisation de tutelle des ostréiculteurs
AIGREFEUILLE : Ville de Charente-Maritime (maire M. Dullin)
ALLANDRY : Importateur d’huîtres du Japon
BANCS NATURELS: Emplacements en mer où les huîtres constituent un
rassemblement d’individus non amenés par l’homme
BEAU : Société de transit bordelaise
BELLEVUE(bancs ): Lieu-dit d’un secteur du bassin de Marennes-Oléron
BELON : Petite rivière de Bretagne où l’ostrea edulis se reproduit, a
donné son nom à toutes les plates bretonnes
BERTEAU Marcel : ostréiculteur, importateur d’huîtres étrangères, seul à
posséder une licence d’importation d’huîtres du Canada
BLANCHARD Henry : Ostréiculteur à Arvert, cheville ouvrière de
l’opération Résur
BOUET Paul: Agent de la S.E.A.I.R. à Vancouver
BOURDELINE (bancs) : Banc naturel de la région de Port des Barques
BOWLING INTERNATIONAL: Restaurant bordelais de Mérignac
BOYARD (chenal) : Chenal du nord de l’île d’Oléron
BRANCHIES (maladie des):maladie infectieuse des huîtres, une des
causes de leur disparition dans les années 1960-70
C.A. : Sigle du Crédit Agricole Mutuel
CADIX: Ville du sud de l’Espagne, en Andalousie
CAZENAVE:Député d’Arcachon
CHAIGNE : Président de la chambre d’agriculture de la Charente-
Maritime
CHIOGGIA : Ville italienne située au sud de la lagune de Venise
C.I.C. : Comité Interprofessionnel de la Conchyliculture
CLAIRE : Bassin en vase peu profond où l’huître est affinée
COLLING : copropriétaire, avec Roland Lambert, des huîtres de San
Pietri
COMPS : Attaché de recherches histopathologiste à l’I.S.T.P.M.
COOP CENTRE SEUDRE : Coopérative ostréicole, siège à Arvert,
président M. Guionneau
CORTIER : Vice-président de la S.R. d’Arcachon
COURPRON Roger : Ostréiculteur de La Tremblade, ex-président de la
S.R. de Marennes
CRASSOSTREA ANGULATA : huître creuse originaire du Portugal, qui
sera remplacée par la gigas
CRASSOSTREA GIGAS : huître creuse d’origine japonaise
CREPIDULA FORNICATA :parasite de l’huître
DASTE : professeur à l’université de Poitiers, directeur du laboratoire
du Château d’Oléron
DEGRE DE MAREE : système pour mesurer l’amplitude des marées
DEROUIN : sous-directeur des Pêches maritimes
DIVERES : administrateur en chef des Affaires maritimes du quartier de
Marennes
D .P .M. : sigle du Domaine Public Maritime
DUBOUILH : professeur itinérant à La Tremblade
DULLIN : sénateur, président du Conseil général, maire d’Aigrefeuille
DUPOUY Marcel : président de la S.A. d’Arcachon
DUPPIN : vice-président de la S.A. d’Arcachon
EPARER : action de semer les huîtres dans l’eau
FEDERATION DES SYNDiCATS OSTREICOLES : Fédération des 14
syndicats du bassin de Marennes-Oléron
FLAMAND (banc) : banc naturel situé entre le chenal de Brouage au N
.et Mérignac
F.O.R.M.A.: Fond d’Organisation et de Régulation des Marchés
Agricoles
FURNESTIN : Membre de l’I.S.T.P.M. de Nantes
GIRONDE : Embouchure des fleuves Garonne et Dordogne
GROOSE-BAY : Aéroport de la côte est des Etats Unis
GOUVIN : Sous-préfet de la Charente-Maritime
GRANSARD : Député de l’île d’Oléron
GROLLEAU Pierre ostréiculteur à Mornac, président de la S.R. de
Marennes-Oléron
GROLLEAU Simone : Epouse de Pierre Grolleau
GUIONNEAU Maurice : Ostréiculteur à Arvert, trésorier de la S.R.,
directeur de la Coop C.S.
GUITTARD : Transitaire à Mérignac de la société Beau
HERVE Charles : Ancien ostréiculteur à Etaules, ancien président du
C.I.C. à Paris, ancien président du syndicat ostréicole rive gauche de la Seudre,
ancien maire d’ Etaules
HUITRES DE MARENNES : Nom donné à toutes les huîtres de la
région du bassin de Marennes-Oléron
I.S.T.P.M. : Institut Scientifique et Technique des Pêches Maritimes
JARNO Paul : Ostréiculteur de La Tremblade, le premier à amener en
France des huîtres du Japon
JOGUET Michel : Ostréiculteur à Mornac
JOURDAIN : Employé de la société Beau
KIRSTEN : Fiancée de Mr Norqvist
LA GREVE : Lieu des établissements ostréicoles de La Tremblade
LAMBERT Robert : Ostréiculteur de Bourcefranc, importateur, président
de l’U.C.O.M.A.
LANGLADE : Préfet de la Charente-maritime
LA PALLICE : lieu de départ des bacs pour l’Ile de Ré
LA TREMBLADE : chef-lieu de canton de la presqu’île d’Arvert, grand
centre ostréicole
LE DANTEC : directeur de l’I.S.T.P.M. du bassin d ‘Arcachon
LIPKOWSKI (de): député de Charente Maritime, ministre
LORINSEN : commanditaire de la S.E.A.I.R.
MARENNES : chef lieu de canton de la rive droite de la Seudre, grand
centre ostréicole
MARENNES-OLERON : nom donné au bassin ostréicole de Marennes
situé entre Charente et Gironde
MARINE MARCHANDE : organisme ayant en charge les cultures
marines.
MARTEIL : agent de l’I.S.T.P.M. DE Nantes, est allé au Canada
sélectionner les huîtres
MAURIN Claude : directeur général de l’I.S.T.P.M. à Nantes
MAXIME : président du Crédit agricole de Charente maritime
MAZIERE : agent de l’I.S.T.P.M. de la Tremblade, chargé du contrôle
MERCIER : agent de l’I.S.T.P.M. de Nantes
MERIGNAC : secteur ostréicole, situé sous Brouage, à ne pas confondre
avec l’aéroport de Bordeaux.
MET Roland (dit RADAR) : reporter-photographe à La Tremblade.
MILLAC : directeur principal de la société Beau
M.O.D.E.F. : mouvement pour la défense et la sauvegarde du bassin de
Marennes-Oléron.
MOUCLIERE : banc naturel situé à Port-des-Barques.
MOUILLELANDE : banc naturel situé en haut de la Seudre, vers Mornac.
MOULIN DE LA COTE : secteur de concessions ostréicoles après
Marennes ,sur la rive droite
NASSER : chef d’état égyptien.
NORDQVIST : P.D.G. de la S.E.A.R.
OLERON (île d’) Ile charentaise située entre Charente et Gironde, digue
naturelle qui protège de la grande houle du large le bassin de Marennes-
Oléron, grand centre ostréicole.
ORATA : nom du premier ostréiculteur connu, il vivait au temps de
l’orateur et consul romain L. Licinius Crassus (140-91 av. J.C.)
OSTREA EDULIS : nom de l’huître plate, dite « de Marennes »
OSTREICULTURE : ensemble des procédés à l’aide desquels on arrive à
favoriser la production des huîtres.
OUDOUT : chef du service agricole du centre national du commerce
extérieur
PAPEAU : conseiller général communiste de Royan
PENDRELL –SOUND : lieu de pêche des huîtres mères sur la côte ouest
du Canada 200 km au nord de Vancouver
PERRET Claude ostréiculteur de Bourcefranc, président du syndicat de
la rive droite de la Seudre, vice-président de la S.R. du bassin
PERROTINE : chenal de Boyardville, île d’Oléron
PHYLLOXERA : très petit insecte qui s’attaque à la vigne ; il a détruit
toutes les vignes françaises à la fin du siècle dernier ; seul le remplacement par
des souches américaines lui résistant a permis à la viticulture de revivre.
POISBLEAU : agent des affaires maritimes
PORT-DES-BARQUES : commune à l’embouchure de la Charente, limite
nord du bassin
PORTUGAISE: nom vulgaire donné à la Crassostrea angulata du fait de
son origine portugaise
PRINCE EDOUARD : île canadienne, centre ostréicole de la côte est où
l’on élève la Crassostrea virginica
QUENTIN Maurice: transporteur de La Tremblade qui a mis gratuitement à disposition son camion pour l'opération Résur.
ROY (société Jules Roy): société importatrice dont le siège social est à
Nantes
RUPPA Myriam : agent de la société Jules Roy, S.A. Le Havre, qui a
servi d’agent de liaison avec les Canadiens ; son dynamisme a été un des pions
de la réussite de l’opération RESUR.
RUPPA Pierre : mari de Myriam Ruppa
SAINT CLEMENT DES BALEINES : pointe extrême de l’île de Ré
SAINT GILLES : commune du littoral vendéen au nord des Sables d’O.
SAINTE MARIE EN RE : commune du sud-est de l’île de Ré
SANDAÏ : baie du Japon, berceau de la gigas
SAN PIETRI : lieudit aux environs de Cadix, dans le sud de l’Espagne
SCHMITT René : ostréiculteur de La Tremblade, président des affineurs
S.E.A.I.R. : agence d’avions charters pour fret à Copenhague
SEUDRE : embouchure de la petite rivière La Seude, qui est le lieu de
prédilection de l’affinage des huîtres du bassin
SET CLICHY : société de transport
SHIRLEY TEMPLE : actrice de cinéma américaine, célèbre pour des
films tournés dans son enfance
SOLLEAU Maurice :ancien président de la Section Régionale de Marennes-Oléron
SURSUDE SCHELL : société ostréicole canadienne
SYNDICAT RIVE GAUCHE : syndicat dont Henry est président
TAKEU IMAI : professeur responsable des produits de la mer au Japon
THAU (étang) : étang du midi de la France, vers Sète, où se cultivent
huîtres et moules
TOUVENT : lieu-dit sur la route Marennes Bordeaux, après Cozes
U.C.O.M.A. : union des coopératives ostréicoles de Marennes-Oléron ;
sa spécialité est la fourniture de matériel ostréicole et de naissain du Japon
VELITCHKOVITCH : directeur des affaires maritimes de Paris
VERDEUR : pigmentation des branchies de l’huître par une diatomée,
la navicule bleue, qui ne se développe que dans les claires du bassin de
Marennes-Oléron
V.L et P.L. : véhicules légers et poids lourds
WATANABE : adjointe du professeur Takeu Imaï
WESTLEY H.PARRY : ostréiculteur canadien, habitant 7065 Belcara
drive Burnaby 2 B.C., président de la Sursude Schell, fournisseur des huîtres
mères
YONNEAU Pierre : ostréiculteur de La Tremblade
YOUX : supérieur hiérarchique de Myriam Ruppa
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Dans notre bassin de Marennes-Oléron la ligne droite maritime n’est pas toujours le bon chemin, témoin le récit suivant, qui évoque mes débuts, en 1946, dans l’ostréiculture, ce métier de « paysan de la mer ».
Au lendemain de la guerre la situation matérielle ostréicole n’est pas reluisante : les bateaux et leurs moteurs sont usés, les hommes fatigués, les exploitations dans le même état, ou pire.
Une refonte générale s’avère nécessaire, mais comment ? Tout manque, et manquera encore longtemps ; le règne des bons-matière et des tickets de rationnement n’est pas terminé.
C’est dans ce contexte que je fais une entrée discrète dans une corporation en grande difficulté.
Je chausse donc des « cuissardes » (bottes hautes) pour la première fois en octobre 1946. Cependant je ne suis devenu marin officiellement que le 4 avril 1947, sous le matricule 41 451 de la Marine marchande française, dûment reconnu comme tel par Monsieur l’Administrateur de l’Inscription maritime de première classe, chef du quartier de La Tremblade, à l’époque Monsieur Susset.
Novice pendant un an, j’apprends d’abord l’essentiel, c’est à dire « goudiller », en français : godiller.Ce huit à faire dans l’eau avec un aviron n’est pas chose facile pour quelqu’un qui n’a jamais tenu cet ustensile.
Le nez du couralin à terre avec le « grappin » (ancre) bien amarré, il ne reste plus qu’à faire ce sacré huit dans l’eau en entendant derrière soi : « Plus souple ton poignet » ou bien : « On dirait que tu brasses de la paille à cochons ».
Ces leçons ont duré jusqu’au jour où l’on m’a poussé dans le chenal…Débrouille-toi !
Un film de naufragé dans une île, l’histoire du radeau de la Méduse, d’autres choses encore plus affreuses me passent alors dans la tête. Tout à coup, miracle, le bateau avance, le fameux huit devient propulseur, la porte de l’ostréiculture vient de s’ouvrir devant moi !
Arrivé à terre tout gonflé de ma performance, une douche tombe du ciel : « maintenant, il faut faire une demi-clé ».
Où peut bien être cette demi-clé, alors qu’il en faut une entière pour ouvrir une porte? Renseignements pris auprès du plus âgé des ouvriers, qui a fait son temps dans la marine, il s’agit d’un nœud marin facile à faire et à défaire.
Facile oui, pour celui qui sait ! Que de tours à l’endroit, que de tours à l’envers, dessus, dessous…Enfin, jour de gloire aussi : je sais godiller et faire une demi-clé.
« Bien, maintenant, tu vas apprendre la route pour aller aux viviers », me dit mon patron de père(et avoir un père comme patron n’est pas chose enviable…)
Il possède une technique rapide et efficace pour enseigner le métier : " Il y a deux manières de faire les choses : la bonne et la mauvaise. La mauvaise, on n’en parle pas, donc c’est comme ça, et pas autrement, qu’il faut faire ".
Amen.
Le tout dit sur le ton de commandement de l’ancien capitaine de génie qui sommeille en lui depuis la guerre ( et la place de fils de capitaine n’est pas non plus chose enviable. )
Nous avions une concession, ou vivier, au lieu-dit « Daire », sur la côte de Bourcefranc, en face du Château . Pour y aller, un vieux bateau long de 11 mètres, avec un tirant d’eau d’au moins un mètre, pourvu d’un vieux moteur à essence de 20 chevaux.
Ma première visite à bord est vite faite : « sur le pont, devant c’est le nez, derrière c’est le cul, dessous c’est la quille, qui doit toujours tremper dans l’eau ».
Tout devient de plus en plus sérieux, avec cette hantise : la quille doit toujours tremper dans l’eau.
A mon premier voyage vers la terre promise – ce fameux vivier de Daire – je ne suis qu’un spectateur, attentif, mais ignare.
Avec un grand bateau et un petit moteur, il faut ruser avec le courant, passer au plus près des balises et des bouées, repérer des alignements, frôler sans toucher, bref, naviguer dans l’approximatif, tout en respectant cette satanée « quille dans l’eau ».
Enfin, un jour, tombe du ciel, sans préavis : « Prends la barre ».
C’est à ce moment qu’a commencé l’apprentissage de la fameuse route des viviers, sous le regard narquois des ouvriers ; heureusement le vent y a été propice. Je me suis toujours demandé si ces salopards ne pariaient pas sur moi et mes piètres qualités de navigateur.
En route, et attention à la quille…
A la sortie du chenal : « Pousse davantage la barre, sans quoi on va au sec ».Bon début ! Pendant les deux heures que dure le trajet j’ai sur le dos un professeur intransigeant et voilà ce qui retentit dans mes oreilles :
« Attention aux couralins devant toi »
« Attention à celui qui vient de ta gauche »
« Attention, il y en a un à ta droite »
Plus tard, dans la marine nationale, je découvrirai que la gauche c’est bâbord et la droite tribord, ce qui est sans doute une question d’uniforme.
En arrivant à la hauteur de La Tremblade, les recommandations fusent de nouveau :
« Attention si le bac traverse »
« Reste dans le courant, au milieu »
« Va plutôt du côté de Marennes, afin de ne pas rentrer dans les bateaux des gars de la Route neuve, qui mouillent n’importe où »(on me dira « aborder »plus tard).
« Pique sur la bouée de Barat »
« Laisse-la à gauche et pique sur la balise de Jeac »
« Râle les balises de concession, pas trop près, pas trop loin »
« Longe Bourgeois »
« Laisse les deux bouées de la Soumaille à gauche »(alors que normalement il faut les laisser à droite)
« Attention à la dernière balise de Bourgeois »
« Ne va pas te mettre au sec sur Trompe-sot »
« Abats lentement et arrondis »
« Remonte sur la balise du Pointeau et fais attention à maintenir le courant dans le nez »
« Longe les balises et fais attention au rocher des Meules »
« Tu vois le friselis du rocher ? Passe entre lui et les balises du Pointeau »
« Arrondis doucement à gauche, longe la terre du Chapus, pas trop près, pas trop loin, et vise la bouée du Commissaire »
« Passe à ras et continue sur la bouée de la Coincelle »
« Fais le tour du musoir de la péniche et attention ; si elle décolle, passe-lui impérativement derrière. Souviens-toi, tout bateau à voile a la priorité sur toi ; tu dois toujours lui passer derrière en cas de croisement. Théoriquement le bac de l’Ile (péniche) devrait passer derrière toi, mais on ne sait jamais, alors passe derrière »
« Laisse le fort du Chapus loin à droite, mais pas trop »
« Longe les balises jusqu’à la hauteur de celle de Daire »
« Quand le petit feu du Château sera en alignement avec le coin du rempart, rentre dans les balises avec le courant de travers »
« Repère notre balise, longe-la tout doucement afin de mouiller dans son alignement »
« L’ancre au fond, laisse-toi reculer moteur débrayé mais pas arrêté »
« Quand la chaîne est raide vérifie ta position ; arrête le moteur et attendons que la quille touche »
« Empêche que le nez abatte en le tenant avec un aviron »
« Déjeunons une fois, on mangera le reste en attendant que l’eau remonte »
Je n’ai plus un poil de sec après ces deux heures de leçon…Hélas, il m’attend bien pire pour le retour à quai !
Dans mon ignorance, je croyais refaire au retour ce que j’avais fait à l’aller ; innocente jeunesse !
La marée finie, le reste du déjeuner avalé (l’homme de barre que je suis désormais déjeune toujours de travers),en route !
L’ancre haute et claire à bord (dixit la marine), la leçon recommence :
« Tu vises le toit du sanatorium de Saint-Trojan (tiens, je ne les savais pas tous poitrinaires) ; sorti des balises tu les longes, pas trop près, pas trop loin »…Les approximations recommencent !
« Attention au Grand Chapiâ devant le fort du Chapus »(nom du rocher du fort)
« Attention au Petit Chapiâ » (frère du précédent au beau milieu de la passe)
« Souviens-toi : quand l’homme de barre voit le clocher de Marennes dépasser du coin du fort de la largeur d’une voile de bateau, tu mets la barre dessous, complètement à droite, et tu remontes sur les vases du fort un petit peu, mais pas trop, puis tu mets la barre à gauche toute et tu vises la travée levante du pont afin de passer par dessous, et tu redresses.. »
A ce stade ma chemise n’est plus qu’un lamentable torchon tout mouillé et mon moral en pleine panique. Heureusement il y a un dieu pour les apprentis marins.
« Fonce dessous, près de la pile, à gauche »
« Attention au courant que tu as dans le nez ».
Par quel miracle ai-je réussi à voir le pont derrière moi, je ne le sais pas encore…
« Bon, ne te laisse pas abattre, attrape la Coincelle, vise le Commissaire, laisse-les à droite, presque à toucher »
« Attention, voilà les Meules »
« Vise la balise du Pointeau mais laisse le ragouillis des Meules à droite »
« Attention, la barre à gauche toute »
« Attention au C… qui nous double et nous serre sur les balises »
« Tiens ton cap sur Maumusson, tant pis pour cet Emm…qu’il aille au diable »
«Garde ton cap avec le courant dans le nez »
« Longe les balises jusqu’à la pointe de Bourgeois »
« Arrondis doucement ; aujourd’hui il n’y a pas de mer ; en cas de mer forte, et afin de ne pas prendre trop par le travers, tu piques sur Maumusson en épaulant les lames, et tu comptes après la plus forte ; une, deux, trois, quatre, cinq, entre la cinquième et la sixième tu abats tout et tu présentes ton cul à la sixième. A partir de là le danger est passé »
Merci , le beau temps !
« Laisse les deux bouées de la Soumaille à droite, longe la côte jusqu’à Jéac et pique sur le milieu de la Seudre, le courant dans le cul »
Une heure après, moi toujours aussi humide…
« Rentre doucement et fais attention à la pointe de vase du chenal »
Ouf ! Le bateau est à quai et moi à terre. Il me semble qu’un autre monde vient de s’ouvrir sous mes pieds, le monde maritime.
C’est ce monde que j’ai lâché en 1984, sous le numéro 47N1834, et qui m’a baptisé « invalide de la marine marchande » !
Bien des années après mon premier voyage comme homme de barre, après la disparition de mon professeur de père, je n’ai jamais pu faire « LA ROUTE » sans croire entendre derrière moi sa voix me mettre inlassablement en garde :
« Attention, tu vas…tu vas… »
Bateau remplacé, moteur changé, « LA ROUTE », elle, est toujours la même.
Aujourd’hui les bateaux ostréicoles sont le plus souvent des chalands à faible tirant d’eau, dotés de puissants moteurs. Les « hommes de barre » actuels ignorent les finasseries du parcours telles que je les ai connues.
Autres temps, autres mœurs, dit le proverbe.
Juillet 2004, Claude GOULEVANT
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